Dedans dehors : vivre la maladie à l’adolescence

Dedans dehors : vivre la maladie à l'adolescence, Boucle Magazine

Le 15 octobre dernier, j’ai eu la chance d’assister à la première médiatique de Dedans dehors de Camille Paré-Poirier à la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Il s’agit de la deuxième pièce de l’artiste en résidence au théâtre.

Un début d’adolescence chamboulé

L’autofiction est le genre que Camille Paré-Poirier explore à nouveau dans cette nouvelle création. Si sa première pièce (Je viendrai moins souvent) s’attardait à la fin de vie de sa grand-mère, celle-ci se concentre plutôt sur la maladie qui l’a frappée au début de l’adolescence. Inspirée en partie de son recueil de prose poétique Dis merci, publié en 2021 aux Éditions de Ta Mère, la pièce plonge au cœur du bouleversement provoqué par la tumeur qui s’est logée dans son dos alors qu’elle était encore très jeune. À travers une écriture à la fois sensible et frontale, l’autrice revisite cette période charnière où le corps se transforme, où la conscience de soi s’affirme et où la maladie vient tout bouleverser.

Elle y explore ce que signifie grandir dans la fragilité, être malade à un âge où tout devrait s’ouvrir, et vivre la puberté sous le signe du contrôle médical et de la douleur. Le texte évoque les premières fois, la découverte du corps, de la sexualité et du désir, mais aussi la peur, la honte et la différence qui s’installent quand la santé devient un enjeu central.

Crédit photo : Valérie Remise

Au-delà de la maladie elle-même, Camille Paré-Poirier s’attarde à l’après. Elle aborde le retour à la vie « normale », les douleurs chroniques qui persistent, les attentes implicites de l’entourage, l’obligation de gratitude envers la guérison, et la perte d’une forme de valeur ou d’attention que conférait la maladie. La pièce interroge ce que signifie être « guérie » quand le corps demeure marqué, et comment on réapprend à exister en dehors du regard compatissant ou admiratif des autres.

C’est une œuvre lucide et intime qui met en lumière les paradoxes du soin, les zones grises de la guérison et la complexité d’un corps qui n’oublie jamais tout à fait.

L’adaptation au théâtre d’un reccueil de poésie

C’est un travail assez colossal que d’adapter un texte de poésie à la scène. Le vocabulaire n’est pas le même, il faut créer des voix, faire exister des personnages et construire un univers complet. Dans l’ensemble, c’est un défi que Camille Paré-Poirier et Laurence Dauphinais, à la mise en scène, ont brillamment relevé.

La scénographie est sobre et efficace. La salle, blanche et éclairée d’une lumière froide, évoque immédiatement l’univers hospitalier. Les accessoires sont réduits au minimum : un lit d’hôpital qui tourne, quelques chaises, un banc. Le dispositif crée une atmosphère à la fois clinique et intime, où le moindre mouvement prend du sens. Le balcon est utilisé de façon récurrente, comme un espace de pouvoir ou de contrôle sur Camille et sa maladie, tandis que l’aire du public est intégrée à certaines scènes, brouillant les frontières entre spectateur et témoin.

La mise en scène, précise et bien rythmée, met surtout en valeur la co-présence des deux Camille sur scène. C’est, selon moi, l’un des aspects les plus forts du spectacle. Anne Florence, qui incarne la jeune Camille, est remarquable autant dans ses prises de parole que dans son jeu corporel, tout en retenue et en vulnérabilité. Camille Paré-Poirier, dans son propre rôle, est d’une justesse et d’une solidité désarmantes. Ensemble, elles font dialoguer le passé et le présent, le corps malade et le corps adulte, la convalescence et la mémoire. Leur présence conjointe fait sentir le passage trop rapide vers l’âge adulte, comme une tension entre l’avant et l’après de la maladie.

Crédit photo : Valérie Remise

Le texte est bien construit. L’arc narratif nous guide à travers l’évolution de la maladie tout en juxtaposant l’après, porté par la voix de Camille adulte. Ce qui m’a parfois un peu déstabilisée, c’est la poésie restée telle quelle, directement tirée du texte original. Elle sonne parfois un peu artificielle dans la bouche de certains comédiens, notamment Mathieu Gosselin, qui incarne les parents de Camille. L’adresse au « tu », reprise du livre, est un procédé que j’ai trouvé très fort dans l’ensemble, mais qui perd un peu de sa force à certains moments. Entendre les personnages dire « Papa dit » en parlant d’eux-mêmes crée parfois un léger décalage.

Malgré ces quelques réserves, la pièce demeure profondément touchante. Les interprètes sont justes et sensibles. Alexandre Bergeron est très bon dans le rôle du neurochirurgien, décrit dans le texte comme un « Patrick Dempsey », tandis que Benoît Maufette, dans plusieurs petits rôles, dont celui de Xavier-Alexandre, le premier petit ami de Camille, se distingue par la justesse et la délicatesse de son jeu.

En somme, Dedans dehors parvient à transformer une expérience intime et douloureuse en un récit scénique d’une grande humanité. La poésie du texte, la sobriété de la mise en scène et la sincérité du jeu s’unissent pour faire émerger un témoignage sensible sur la maladie, la guérison et la mémoire du corps. C’est une œuvre qui touche, qui fait réfléchir, et qui réussit à rendre visible ce qui se vit souvent en silence.

Dedans Dehors est présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 5 novembre, mais faites-vite, les billets s’envolent rapidement. Pour vous en procurer, c’est ici.

Crédit photo de couverture : Valérie Remise

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Catherine Fournier

Étudiante à la maîtrise en théâtre, Catherine est une passionnée de tout ce qui touche à la culture. Son passe-temps préféré? Lire dans son lit, une bougie allumée pendant que son chat Clémentine dort à côté.

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