Helgi : quand les vivants ne savent pas comment communiquer

Helgi : quand les vivants ne savent pas comment communiquer, Boucle Magazine

Le 8 avril dernier, j’ai eu l’occasion d’assister à la première de Helgi, une pièce percutante du dramaturge islandais Tyrfingur Tyrfingsson, traduite avec justesse par Maxime Allen et mise en scène avec finesse et audace par Marie-Ève Milot. Cette œuvre singulière brouille les frontières entre le comique et le tragique, oscillant sans cesse entre rires grinçants et moments plus graves. On y découvre une galerie de personnages éclatés, marginaux, intensément vivants, bien loin de toute forme de bienséance.

Une histoire qui ne laisse pas indifférent

La pièce s’ouvre sur Helgi, un jeune thanatologue employé dans l’entreprise funéraire de sa famille. Il est en train d’embaumer le corps du père de Katrin, une jeune femme avec qui il a eu une aventure sans lendemain quelques jours plus tôt. Son propre père arrive, en retard et quelque peu déphasé, et lui confie une vision troublante : quelqu’un brûlera, quelqu’un mourra, et Helgi se coupera la langue.

Helgi : quand les vivants ne savent pas comment communiquer, Boucle Magazine
Crédit photo : Frédérique Ménard-Aubin

Ce présage absurde et inquiétant sert de fil conducteur à une journée où l’ordinaire dérape constamment. On assiste à la fin de l’embaumement, à des discussions tendues et chargées avec son amant le boulanger, à un souper chaotique avec Katrin, jusqu’aux funérailles du défunt, où Helgi chante une chanson aussi drôle qu’incongrue.

La pièce oscille sans cesse entre le comique et le tragique. La langue est crue, souvent vulgaire. Les personnages sont fâchés, à vif, incapables d’entretenir des relations normales ou de ne communiquer autrement que par la confrontation. Helgi tente de construire son propre récit, de s’affranchir, mais tous ceux qui l’entourent cherchent à le retenir. Son père, Katrin et le boulanger projettent sur lui leurs désirs, leurs attentes, leurs frustrations. La prophétie finit par se réaliser, dans un univers où les élans d’autonomie sont étouffés par le poids des liens affectifs et des histoires non réglées.

Un jeu impressionnant et une mise en scène efficace

Je pense que ce qui m’a le plus comblé de cette pièce, c’est le jeu de l’ensemble des interprètes. Ils étaient tous extrêmement solides dans leur rôle respectif. Gabriel Lemire, dans le rôle principal d’Helgi, est tout simplement épatant. Il incarne avec justesse toutes les nuances de ce personnage complexe, passant avec fluidité de la candeur désarmante à une volonté farouche de s’affranchir, tout en laissant transparaître une peur profonde de décevoir. Sa performance ne laisse pas indifférent. Fabien Cloutier, qui signe ici un retour très attendu sur les planches, campe un père instable et intense avec une précision remarquable. Il apporte à son personnage une tension constante, mêlée d’une tendresse maladroite, qui le rend à la fois inquiétant et touchant.

Alexandre Bergeron, dans le rôle du boulanger, interprète avec beaucoup de justesse un homme en quête d’attention et d’amour, pris entre ses désirs et son impuissance à établir un lien véritable. De son côté, Kariane Héroux-Danis est solide dans le rôle de Katrin, une jeune femme à la fois séductrice, explosive et insaisissable, qui bouscule Helgi à chaque apparition. Enfin, même si le personnage incarné par Lou Thompson reste en retrait par rapport aux autres, elle livre malgré tout une performance assurée, habitée, qui maintient l’équilibre dans cet univers tendu et éclaté.

Helgi : quand les vivants ne savent pas comment communiquer, Boucle Magazine
Crédit photo : Frédérique Ménard-Aubin

La mise en scène est efficace, bien rythmée, et portée par des transitions fluides et inventives. L’environnement sonore accompagne subtilement les scènes, ajoutant une texture supplémentaire à l’ensemble. Visuellement, la pièce est particulièrement réussie. J’ai été impressionnée par la manière dont l’espace se transforme à partir d’une simple table et de quelques accessoires.

L’utilisation ingénieuse de la forme de la scène pour évoquer le four crématoire est une idée brillante, à la fois simple et percutante. Les éclairages, signés Chantal Labonté, participent activement à cette métamorphose de l’espace. Le décor conçu par Patrice Charbonneau-Brunelle est à la fois sobre et évocateur. Il s’intègre parfaitement à l’univers de la pièce, en soutenant l’action sans jamais la surcharger.

Je dois avouer que certaines scènes m’ont semblé un peu longues et que quelques intrigues secondaires m’ont paru superflues, voire déconnectées de l’ensemble. Le personnage incarné par Lou Thompson, bien qu’interprété avec justesse, ne m’a pas semblé essentiel à l’écosystème dramatique de la pièce. Cela dit, j’ai tout de même ri à plusieurs reprises. L’humour, souvent inattendu, fonctionne très bien et parvient à créer des moments de légèreté au cœur d’un univers tendu et chaotique. En somme, j’ai passé un bon moment et je recommande cette pièce à celles et ceux qui aiment la comédie noire et l’intensité.

Helgi est présenté au théâtre de Quat’Sous jusqu’au 27 avril. Pour des billets, c’est par ici!

Crédit photo de couverture : Frédérique Ménard-Aubin

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Catherine Fournier

Étudiante à la maîtrise en théâtre, Catherine est une passionnée de tout ce qui touche à la culture. Son passe-temps préféré? Lire dans son lit, une bougie allumée pendant que son chat Clémentine dort à côté.

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