Nuances™ : pardonner en masse avec un algorithme, vraiment?

Nuances™ : pardonner en masse avec un algoritme, vraiment?, Critique, Boucle Magazine

Le 4 février dernier, j’ai eu la chance d’assister à la brillante et étonnamment très drôle pièce Nuances™, une production du Théâtre de la Lune Rouge présentée à la Petite Licorne. Cette pièce, écrite par l’Américaine Steph Del Rosso et traduite et adaptée brillamment par Laurie Léveillé m’a fait passer un excellent mardi soir, c’est certain.

Réagir aux violences sexuelles

Nuances, c’est une entreprise high-tech qui s’est donné pour mission de rééduquer les hommes accusés de violences sexuelles. Grâce à un algorithme sophistiqué et une série d’exercices immersifs, elle prétend pouvoir déterminer si ces hommes sont prêts à réintégrer la société.

On suit Jess, une nouvelle employée enthousiaste qui croit profondément en la mission de Nuances. Pour elle, cette technologie représente une avancée révolutionnaire : une façon de réparer, d’éduquer, de transformer ces hommes pour éviter qu’ils ne récidivent. Mais plus elle découvre les coulisses de l’entreprise, plus son optimisme est mis à rude épreuve. Derrière son image lisse et son discours progressiste, Nuances reste avant tout une compagnie privée, où la rentabilité prime sur l’éthique.

Nuances™ : pardonner en masse avec un algoritme, vraiment?, Critique, Boucle Magazine
Crédit photo : Fanny Migneault-Lecavalier

Une mise à jour récente de l’algorithme en est le parfait exemple : désormais, si les accusés répondent correctement aux exercices et mises en situation, ils peuvent voir leur sortie avancée. Mais que signifie vraiment « répondre correctement »? Est-ce une preuve qu’ils ont changé, compris la gravité de leurs actes? Ou ont-ils simplement appris à jouer le jeu, à dire ce qu’on attend d’eux pour obtenir leur liberté plus vite?

Au fil de la pièce, les doutes de Jess deviennent ceux du public. Jusqu’où peut-on faire confiance à la technologie pour juger de l’évolution d’un être humain? Peut-on vraiment quantifier le remords, la prise de conscience, la transformation?

Avec une bonne dose d’humour et une énergie mordante, la pièce aborde un sujet grave sans jamais tomber dans le moralisme. Elle divertit tout en soulevant des questions inconfortables, amenant le public à réfléchir. Un regard acéré sur l’illusion du progrès, la marchandisation de la justice et la fragilité des critères censés définir la réhabilitation.

Une mise en scène efficace et un jeu dosé et divertissant

Nuances™ : pardonner en masse avec un algoritme, vraiment?, Critique, Boucle Magazine
Crédit photo : Fanny Migneault-Lecavalier

J’ai absolument adoré la mise en scène de Stéphanie Desrochers, qui dirige son équipe d’une main de maître. Chaque choix semble réfléchi, contribuant à un rythme précis et une mise en espace efficace. Les décors d’Amélie Marchand, représentant d’un côté une cuisine d’employés et de l’autre un bureau aseptisé, installent immédiatement l’ambiance d’une entreprise high-tech. L’espace est fonctionnel, crédible et bien pensé. Mais ce qui donne véritablement vie à la scène, ce sont les jeux d’éclairage : ils découpent l’espace, isolent les personnages et permettent même de donner une présence quasi palpable au logiciel de Nuances, renforçant l’atmosphère technologique et parfois inquiétante de la pièce.

Camille Massicotte joue Jess avec beaucoup de nuances (eh oui !). Elle traduit parfaitement l’ambiguïté du personnage, oscillant entre conviction et malaise face à ce qu’elle découvre. On sent à travers son jeu toute l’évolution de son rapport à Nuances, ce qui la rend d’autant plus attachante. Véronique Savoie, dans le rôle de la patronne, est hilarante et d’une condescendance impeccable. Son personnage respire la fausse bienveillance et le mépris déguisé, rendant chacune de ses apparitions à la fois exaspérante et jouissive. David Strasbourg, en Sébastien, l’un des clients qui pousse Jess à douter, livre une performance troublante. Il oscille entre charme et menace avec une justesse qui met mal à l’aise, rendant son personnage d’autant plus marquant. À plusieurs reprises, son jeu m’a fait grincer des dents, ce qui prouve à quel point il est efficace. Maxim-Olivier Potvin, dans le rôle du collègue idéaliste, apporte une sincérité touchante. Il croit véritablement à la mission de Nuances. Enfin, Charles Boivin-Groulx impressionne en incarnant tous les autres clients de Nuances. Il enchaîne les personnages avec aisance et rapidité, rendant chacun distinct et crédible malgré le peu de temps dont il dispose pour les camper. Son travail de transformation est remarquable et apporte une vraie diversité aux figures que rencontre Jess.

Nuances™ : pardonner en masse avec un algoritme, vraiment?, Critique, Boucle Magazine
Crédit photo : Fanny Migneault-Lecavalier

Bref, Nuances™ est une pièce que j’ai absolument adorée. Un bel équilibre entre une pièce qui fait réfléchir et une pièce qui fait rire. Elle est présentée à la Petite Licorne jusqu’au 28 février prochain et il reste encore des billets! Pour vous en procurer, c’est par ici.

Crédit photo de couverture : Fanny Migneault-Lecavalier

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Catherine Fournier

Étudiante à la maîtrise en théâtre, Catherine est une passionnée de tout ce qui touche à la culture. Son passe-temps préféré? Lire dans son lit, une bougie allumée pendant que son chat Clémentine dort à côté.

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