Monstres : excursion cauchemardesque dans l’univers de la DPJ

Monstres : excursion cauchemardesque dans l'univers de la DPJ, Boucle Magazine

Le 22 janvier dernier, j’étais assise dans la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier sachant que je m’apprêtais à voir une pièce sur « les enfants de la DPJ », mais jamais je n’aurais pu m’imaginer la grandeur et la pertinence de ce que j’allais recevoir. Cette pièce, produite par Les Créations Unuknu en collaboration avec le Collectif Ex-Placé DPJ m’a transporté dans un autre monde durant 1 h 40.

Entre le réel et l’onirique

Monstres est une création, une fiction, un cauchemar et la réalité en même temps. Trois trames principales s’entrecroisent durant le spectacle. J’ai un peu craint au début que la pièce ne soit répétitive et trop rythmée par ces changements de trame, mais finalement, les transitions étaient bien faites et la multiplicité des points de vue permettait beaucoup de nuances.

Premièrement (et je dis premièrement car c’est par cette trame que l’on rentre dans la pièce), nous assistons à une conférence de la part d’une autrice (jouée brillamment par Caroline Bélanger), ancienne placée de la DPJ qui a écrit un livre sur son parcours de guérison. Un parcours remplis d’espoir et d’amour de soi. La présence d’un des comédiens dans le public (Greg Beaudin, excellent dans son rôle), vient briser le quatrième mur. L’homme, totalement en opposition aux propos de la conférencière, apporte énormément de nuance et d’émotion aux propos qu’elle tient.

Monstres : excursion cauchemardesque dans l'univers de la DPJ, Boucle Magazine
Crédit : Maxim Paré-Fortin

Deuxièmement, on suit le parcours de Moineau (jouée avec une justesse impressionnante par Laura Côté-Bilodeau), une jeune fille avec des parents ayant des problèmes de consommation, qui se retrouve dans le système. On la suit dans deux familles d’accueil, dans son retour chez elle, dans son passage au centre jeunesse et finalement, dans sa sortie du système à ses 18 ans. Cette histoire est poignante, empreinte à la fois de réalisme et de fantaisie. L’utilisation de l’univers du cauchemar est extrêmement juste. Cet espace, complètement libéré des carcans de la réalité, permet aux créatrices de représenter l’imprésentable d’une façon parfois ludique, mais toujours aussi sensible.

Finalement, ce sont des témoignages réels, en voix off, des jeunes du Collectif Ex-Placé DPJ qui viennent compléter ce riche tableau. En répondant à des questions comme qu’est-ce que l’amour, la famille, l’isolement, l’abandon ou encore l’espoir, ces témoignages nous ramènent au réel, aux humains derrière tout ça. Ce sont des paroles puissantes qui parlent énormément, qui permettent de mieux comprendre tous les effets que peut avoir un parcours dans le système.

Bref, c’est une pièce qui est à la fois très ancrée dans le réel, mais qui se permet aussi la fiction pour avancer ce qu’elle veut.

Un jeu puissant et une mise en scène convaincante

Ce n’est pas seulement le fond de la pièce qui constitue une réussite, mais également sa forme. La mise en scène, signée par Marie-Andrée Lemieux en collaboration avec Marie-Ève Bélanger (également aux textes), est tout simplement époustouflante. Deux tableaux trônent sur scène, représentant d’un côté une maison délabrée et, de l’autre, une coquette maison rose. Ces contrastes visuels frappants plantent efficacement le décor et symbolisent les tensions qui traversent la pièce. Les costumes, variés et ingénieux, permettent de réellement incarner une diversité d’univers au sein du même spectacle. Des tenues roses aux costumes inquiétants, ils métamorphosent les comédiens qui interprètent, pour la plupart, plusieurs rôles différents avec une grande aisance.

L’ensemble des interprètes livrent une performance d’une justesse remarquable. Marie-Ève Bélanger, dans le rôle de la mère, m’a donné des frissons par son intensité. Les « Josée », représentant le système de la DPJ, parlent en chœur et ramènent tout au « protocole » : elles sont à la fois captivantes et effrayantes, incarnées avec brio par plusieurs membres de la distribution. Nicolas Centano, jouant un prédateur dans la scène finale, m’a profondément bouleversé. L’univers cauchemardesque de la pièce est brillamment rendu grâce à une mise en scène maîtrisée et à des interprétations saisissantes. Tracy Marcelin, dans le rôle de l’animatrice de conférence, parvient à être à la fois malaisante et attachante, et elle brille tout autant dans ses autres rôles. Yann Aspirot incarne avec nuance plusieurs figures paternelles, passant de l’alcoolique au père déconnecté, jusqu’à l’homme bien intentionné. Greg Beaudin est également excellent dans son rôle, tout comme « la conférencière » Caroline Bélanger.

Mais celle qui m’a le plus touchée est Laura Côté-Bilodeau. Tout au long de la pièce, elle reste engagée dans son rôle, livrant une performance d’une crédibilité et d’une sensibilité exceptionnelles.

En résumé, cette pièce dit tout ce qu’elle a à dire avec force, et elle exploite pleinement les possibilités qu’offre le théâtre pour atteindre ses objectifs. Une œuvre marquante, tant dans son propos que dans sa réalisation.

Monstres est présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 février. Pour des billets c’est par ici.

Crédit photo de couverture : Maxim Paré-Fortin

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Catherine Fournier

Étudiante à la maîtrise en théâtre, Catherine est une passionnée de tout ce qui touche à la culture. Son passe-temps préféré? Lire dans son lit, une bougie allumée pendant que son chat Clémentine dort à côté.

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