Royal : l’impossible échec

Royal : l'impossible échec. Jean-Philippe Baril Guérard, Théâtre Duceppe

Après le succès de l’adaptation théâtrale de Manuel de la vie sauvage, c’est maintenant au tour de Royal, deuxième roman de Jean-Philippe Baril Guérard, de prendre vie au Théâtre Duceppe jusqu’au 13 mai. Pari réussi pour l’auteur qui fait de nouveau équipe avec le directeur artistique Jean-Simon Traversy à la mise en scène, cette fois en comptant également sur la collaboration de la chorégraphe Virginie Brunelle, pour rendre un spectacle aussi saisissant que confrontant dépeignant la course à la performance obsessive d’un groupe d’étudiant.e.s en droit, prêt.e.s à tout pour briller.

Exceller à tout prix

Royal : l'impossible échec. Jean-Philippe Baril Guérard, Théâtre Duceppe
Crédit : Danny Taillon

Pas de place à la médiocrité à la faculté de droit de l’Université de Montréal où se trouve « l’élite de la société ». Un titre insidieux qui dès le départ, fait résonner les voix des 10 comédien.ne.s devant le public, interpellé aux premiers moments de la pièce. À peine une première session universitaire entamée et déjà, on apprend à ce club sélect que l’échec est impardonnable si l’on souhaite accéder à la fameuse course aux stages permettant de se mériter une place auprès d’un réputé cabinet d’avocats, pour éventuellement y travailler et bénéficier d’un appétissant salaire. Être au sommet de la pyramide donne assurément envie de se battre pour y rester, et ce, peu importe le moyen de s’y prendre. C’est d’ailleurs ce qui mènera le personnage d’Arnaud — interprété avec grande justesse par Vincent Paquette — à sa perte.

Crédit : Danny Taillon

Formée de jeunes finissant.e.s d’écoles de théâtre, la distribution de Royal, soigneusement sélectionnée lors d’un processus d’audition rigoureux, nous convie dès les premiers instants à ce marathon sans pitié, dans lequel le parcours privilégié de chacun.e des protagonistes ne suffit pas. Comme l’annonce le cousin Fred (Pierre-Alexis St-Georges) à Arnaud, « les cabinets, ce sont des business », du « marketing », et être un A avec un relevé de note parfait et un CV qui l’est tout autant sont primordiales pour assurer son avenir. Le cousin Fred est bien placé pour le savoir, puisqu’il a pu se tailler une place — non sans conséquence sur lui — dans le convoité cabinet de Claire Daniels (Parfaite Moussouanga), dont la présence à elle seule suffira pour faire monter la tension au sein du groupe de futur.e.s avocat.e.s. Cette tension qui se ressent dans les mots, mais aussi dans chaque mouvement minutieusement orchestré entre les personnages, qui s’engouffrent malicieusement dans une compétition aussi féroce que déshumanisante.

Quand le théâtre rencontre la danse

Royal : l'impossible échec. Jean-Philippe Baril Guérard, Théâtre Duceppe
Crédit : Danny Taillon

Si l’une des forces de Jean-Philippe Baril Guérard réside dans son habileté à exposer les travers de différents groupes au moyen de personnages aussi attachants que détestables, avec cette nouvelle adaptation scénique, l’auteur, en compagnie de ses collaborateurs, arrive à livrer une puissante image des dessous du monde académique et qui plus est, d’une société carburant plus souvent qu’autrement à la performance. Drogues, dépression, conflits, tous les ingrédients y sont pour qu’Arnaud s’y perde au profit du succès, même si sa copine Aurélie (Aline Winant), future médecin, tente de lui faire comprendre que l’échec ne définit en rien la valeur de quelqu’un.

Royal : l'impossible échec. Jean-Philippe Baril Guérard, Théâtre Duceppe
Crédit : Danny Taillon

Une intensité qui se traduit tout au long de la pièce par la musique de Nicolas Basques, mais aussi et surtout par les chorégraphies pensées par Virginie Brunelle, qui, avec chaque geste, arrive habillement à transmettre au public cet état emprisonnant menant à l’épuisement. Dans une performance hautement physique, les interprètes livrent un jeu éloquent, permettant la compréhension des multiples états auxquels chacun.e est confronté.e. Alors qu’un duel entre Arnaud et Mike — mené par l’impressionnante interprétation d’Irdens Exantus — prend l’allure d’un véritable combat, des scènes plus délicates sont quant à elles évoquées par des mouvements parfois lourd de sens, le tout dans un décor dépouillé n’ayant qu’un rideau de métal — ou presque — en guise d’accessoire, servant également à projeter les visages de certain.e.s comédien.ne.s en direct. Le rythme s’intensifie et la chute aussi, même si maintenant recouverts d’un masque doré, les élus s’approchent de leur but ultime. Le tableau final en est d’ailleurs la preuve. 

Royal : l'impossible échec. Jean-Philippe Baril Guérard, Théâtre Duceppe
Crédit : Danny Taillon

Bien plus qu’un sombre portrait du monde du droit des affaires, Royal rappelle efficacement les effets d’un capitalisme sauvage qui flotte constamment au-dessus de nos têtes, poussant jusqu’à l’épuisement. À s’y demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle.

La pièce Royal est présentée jusqu’au 13 mai au Théâtre Duceppe. Faites vite, les billets pour les supplémentaires s’envolent rapidement!

Crédit photo de couverture : Danny Taillon

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Karine Gagné

Rédactrice en chef adjointe et cheffe de section culture pour Boucle Magazine, Karine évolue dans le domaine culturel à divers titre. À travers ses articles, elle met de l’avant une ligne éditoriale axée sur la scène locale et la découverte.

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