Cette petite voix plus forte que moi

Je me suis regardée dans le miroir trop souvent. Mes pieds sur la balance qui ne me montrait jamais le poids idéal que je voulais atteindre. Du primaire jusqu’à l’âge adulte, on me félicitait quand je perdais du poids et on me le faisait remarquer quand j’engraissais. On me le fait encore remarquer d’ailleurs. J’ai même déjà eu un livre sur la perte de poids pour mes 12 ans! (À ne pas faire.) Pour cacher mon corps, je portais toujours les vêtements les plus amples que je pouvais trouver. Tellement amples, que personne n’a jamais remarqué que je perdais du poids, jusqu’au bal des finissants. Là, j’étais «belle». Pourtant, je ne me sentais ni plus belle ni plus mince, je me sentais juste vide et mon estime de moi n’était pas plus grande qu’une poussière.

La phrase «mon dieu que ça te fait bien comme ça, t’es belle» est revenue souvent, trop souvent. Ce n’est pas tout à fait de leur faute, c’est ancré profond. Profond dans l’image de société et du bien paraître. Les gens «beaux» réussissent toujours mieux non?

Puis les adultes essaient tant bien que mal de te rassurer et de te protéger, mais on n’accepte pas leur aide parce qu’on pense qu’on est seul au monde et que personne ne peut nous comprendre…

On essaie de me convaincre que manger c’est bon, c’est excellent. Ça donne la vie, l’énergie. Tous ces goûts fascinants que tu peux sentir sur ta langue, sous tes dents. Oui, je sais, c’est bon manger…

Mais y’a cette petite voix, là. Plus grande que moi, que le monde, que tout. Elle est cachée dans un recoin de mon âme et elle n’a pas l’air de trop m’aimer. Ces insultes qu’elle me crache alors que je n’ai rien demandé. Je n’ai pas le choix de l’écouter, elle ne se tait jamais. Mon coeur qui s’accélère dans ma cage et qui s’efface doucement pour laisser place à la rancune du monde dans lequel on vit. Il n’y a rien de beau ici pour moi…

Je regarde mes amies s’empiffrer de pizza et je ne mange qu’une pointe. Du moins, jusqu’à ce que j’aille aux toilettes pour me pencher devant et renvoyer cette pointe du diable qui me fait sentir si coupable. Coupable de quoi au juste? Je n’en sais rien. C’est juste plus fort que moi. Les toilettes sont mes meilleures amies en ce moment, mon refuge pour me cacher des regards désobligeants.

Je me regarde dans le miroir. Je me touche. Je sens que l’espace entre mes doigts et mon poignet a encore rétréci, que mes hanches sont plus larges, mes pommettes ont encore gonflé. Ça veut dire que j’ai pris du poids malgré tout mes efforts!

Au Cégep, j’ai commencé à faire du sport au point de m’en rendre malade. Au point que mon corps n’en pouvait plus. Je ne comprends pas trop, on m’a dit que c’était bon de faire du sport. Sauf que, trop en faire et ne pas manger, ça fait perdre connaissance. Ça donne aussi des vertiges, de l’anémie, de l’hypoglycémie, des baisses de tension, les cernes noires comme du charbon, la peau pâle comme la neige, le froid, le chaud dans tes membres, la faiblesse de tes jambes. Et puis, tu te ramasses à l’hôpital chaque jour et personne ne sait trop ce qui cloche avec toi, même pas toi.

Jusqu’à ce que ton corps te lâche pour vrai. C’est là que je me rends compte que je n’ai plus mes menstruations. Je pourrais peut-être ne plus avoir d’enfants… Mes émotions sont anéanties, sombres. Je suis rendu avec un manque flagrant d’intérêt pour la vie. Le monde est fatigant après moi de toute façon, ça n’arrête pas de me protéger. Et hop, une blessure au genou et deux et pourquoi pas une blessure au dos aussi et une dislocation de l’épaule à mon premier tournoi de tennis tant qu’à y être. Je te le dis, l’orgueil quand tu te blesses, elle n’a pas sa place.

Aujourd’hui, je suis encore en train de guérir, physiquement et mentalement. Les comportements ne se tassent jamais complètement et reviennent de temps à autre pour me rappeler que je dois rester forte face à l’adversité de mon mental et de mon corps.

Avec le temps, j’ai appris que tous les corps sont beaux. Le tien, le mien, TOUT LE MONDE. Il y en a pour tous les goûts et c’est ça qui est beau. Se comparer à un autre être humain, ça fait perdre notre propre sens parce que personne n’est pareil. On se compare pour un culte de beauté à saveur parfaite, mais on ne regarde que l’extérieur, sans vraiment comprendre que le focus, c’est à l’intérieur que ça doit se passer. On veut tous être uniques, mais quand on l’est, on veut tous se ressembler.

Je me rends compte que j’ai perdu de belles années à vouloir tout contrôler. Quatorze ans, à perdre la tête et l’accent du monde réel au détriment d’une image corporelle qui ne me faisait pas du bien, qui me rendait malade. Tout ça, parce que c’est ce qu’on m’a inconsciemment appris. C’est maintenant que je comprends que mon corps est comme il est et il n’a pas besoin d’être changé pour me faire aimer. J’ai même appris à le trouver séduisant après de nombreuse année d’autosabotage.

Je te souhaite d’aimer le tien et d’en prendre soin. Soit parfaite pour toi et personne d’autre et surtout, souviens-toi que t’es pas seule au monde.  

PS : FAUT EN PARLER!

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Claudia Leblond

Rêveuse à temps plein, les deux pieds enfoncés dans l’art depuis qu'elle sait parler, elle s'appelle Claudia. La musique et l'événementiel la font vibrer d'un souffle folâtre. Graphiste de métier, elle prend un plaisir malsain à boire un bon latté chaud en travaillant. Sa tête bouillonne sans cesse d’idées prêtes à sortir d’un bout de crayon aiguisé.

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