À l’Espace libre est présentée Table Rase, une pièce écrite par Catherine Chabot avec la collaboration de Brigitte Poupart et le Collectif Chiennes. Autour d’une table se présentent à nous six personnages; six amies. Toutes très typées, sans qu’un prénom ne soit prononcé, elles représentent ensemble les différentes facettes de la femme d’aujourd’hui. Du moins, c’est l’intention des artisanes de la pièce qui demeurent prisonnières du mirage du modèle féminin unique. La pièce présente un éventail de valeurs, de complexes, d’aspirations et de révoltes personnelles, assumées parfois instinctivement et d’autres fois de force, ce qui viendra à coup sûr tirer une corde sensible à un moment ou un autre chez les spectatrices.
Suite à un pacte d’amitié qui prend la forme d’un traité de réappropriation d’elles-mêmes, les six amies se retrouvent dans un chalet avec l’une d’entre elles atteinte d’une maladie incurable. Si la maladie du personnage atteint est peu évoquée – peut-être pas suffisamment pour l’élément qui se veut pilier de l’action dramatique – les cinq autres femmes se présentent à nous toutes aussi malades d’une société au sein de laquelle leur place est vidée de sens. C’est au travers d’un jeu d’une justesse remarquable que Vicky Bertrand, Marie-Anick Blais, Catherine Chabot, Rose-Anne Déry, Sarah Laurendeau et Marie-Noëlle arrivent à venir titiller en nous l’envie de comprendre, de reconstruire ce sens manquant, biaisé. Devant nous se reflète un portrait cru et direct brossé sur un texte à la répartie poignante qui provoque un rire franc et parfois malaisé dans le public qui confirme la touche d’une cible. Table Rase rappelle l’importance du collectif dans une société où l’individualité se veut de plus en plus flouée et complexe.
Elles voudront, tour à tour, laisser mourir cette partie affectée d’elles-mêmes, renaître. On assiste alors à une réunion délirante qui oscille entre le deuil et la célébration; à des montagnes russes d’émotions qui nous rappelle que nous ne sommes pas seuls apeurés devant ces pentes, courtes ou longues, à gravir ou dévaler. Au cours de cette réunion sont déployés une multitude de «pourquoi» auxquels notre génération sont confrontés. Dans ce même climat de vitesse et de paraître dans lequel nous vivons, ils sont cités un par un, sous forme de cris, confessions ou confrontations, mais on passe très vite de l’un à l’autre. Si la pièce vient par ces six voix hiérarchiser les questionnements de notre époque, on nous laisse sur la soif d’un «parce que». On parle brièvement et sans grandes réactions d’un personnage qui abdique à sa présence dans la vie de son père mourant alors qu’on s’indigne et se sermonne lorsque cette même femme raconte son mutisme lors d’une relation sexuelle désagréable. Table Rase vient remuer en nous des sujets qu’on passe ailleurs sous silence et qu’on nous présente enfin comme dignes de considération.
Dans cet article, le féminin est utilisé sans discrimination des genres, pour alléger le texte.