Et les amoureux auront des cataractes : un « Crock Pot » multidisciplinaire

Texte et mise en scène de Cassandre Émanuel (assistée par Mélanie Primeau)
Avec : Tommy Lavallé, Dominique Piché, Simon Fournier, Catherine-Audrey Lachapelle, Olivier Rousseau, Edith Doucet, Liane Teriault, Nadège St-Arnaud et Delphine Veronneau.

crédit Marc-Olivier Maheu
Crédit : Marc-Olivier Maheu

Je vais commencer, puis il y aura une fin, mais aussi, pas vraiment.

Des spectacles comme celui-là, ça me rappelle à quel point j’aime le théâtre, mais encore plus ceux et celles qui décident de s’aventurer dans cette passion jusqu’à l’écorchement, jusqu’à l’écœurement (heureusement, jamais définitif tant cet amour est puissant).  Des créateurs au public qui les soutient, l’échange me paraît nécessaire à poursuivre coûte que coûte. Malgré l’écologie théâtrale brouillon, malgré l’incompréhension intergénérationnelle, malgré le manque accru de subventions, malgré la congestion dans l’entonnoir des possibilités de travail, malgré la « crise générale du théâtre au Québec » qui perdure depuis près de 40 ans… malgré tout ça.  Et je suis de ceux qui s’en indignent, tout comme mes pairs dans le milieu… mais , en même temps, pas tant que ça.

Pourquoi?  Parce que d’être compressé, ratatiné et désespéré provoque la créativité et ramène à l’essentiel : une interaction humaine qui passe par la forme et le message. La forme pouvant être multiple (de plus en plus interdisciplinaire) et le message bien subjectif.  Ce n’est pas nouveau, la formule d’en faire plus avec moins.  La création collective est née de la nécessité et du plaisir de se soutenir mutuellement dans la charge immense de la réalisation d’un spectacle, tant pour minimiser les burn-out que pour enrichir l’expérience artistique de chacun et de la production elle-même.  Il y a peut-être trop de compagnies qui déploient trop de créations collectives annuellement, mais comme il s’agit de la meilleure école (voir la seule qui permet aux artistes de la relève d’afficher leur plein potentiel), il y en aura encore et toujours et ce, pour mon plus grand plaisir.

Et les amoureux auront des cataractes?  J’y viens…

Je disais donc que ce spectacle est une preuve essentielle de tout ce qui se passe en ce moment et un merveilleux pied-de-nez à ceux qui pensent qu’il n’y a pas eu de succession du savoir-faire et du talent artistique des créateurs-fondateurs du théâtre au Québec (les Denis Marleau, Jean-Pierre Ronfard, etc.), parce qu’ils s’enferment toujours dans les mêmes salles des institutions.  Il y a une relève. Elle est bel et bien là, à créer dans le silence pour des publics peut-être restreints, mais qui saluent très souvent la qualité de l’expérience et de la démarche des artistes.

Cette création de Cassandre Émanuel (auteure et metteure en scène), soutenue par une équipe touche-à-tout, s’est faite dans le silence et a été offerte à des privilégiés, dans un loft du Mile End.  C’est son « urgence urgente » de créer qui l’a poussée à travailler un des textes « empoussiérés des dédales de son disque dur ».  Un mélange de théâtre, de danse et de marionnettes qui se développe par une série de tableaux sans narration fixe.  Le projet se voulait irrationnel et ludique, mais il fait beaucoup plus de sens que bien d’autres productions qui s’y sont maladroitement essayées.  Et les amoureux auront des cataractes est un petit bijou artisanal qui miroite sur plusieurs facettes.  D’abord, sur la simplicité de son histoire et de son déroulement. Trois personnages principaux, trois amoureux : Lucien, un véritable passionné de la danse qui aspire à une carrière qui semble pourtant ne pas vouloir de lui et sa sœur Victoria, une enseignante de français qui a un fort penchant pour sa matière, qui s’amourache de Georges, un écrivain à temps perdu rencontré dans une bibliothèque, exalté par les débuts de toute chose mais qui ne finit jamais ce qu’il entreprend. À cela s’ajoute une ribambelle d’autres personnages secondaires et farfelus pour animer le récit, qui se développe, dans un premier temps, dans un univers parfaitement réaliste et, dans un second temps, dans des espaces spatio-temporels divers et indéfinis.  La pièce brille tant par son caractère fragile, home-made, dans l’apparence des décors, des costumes, des éclairages et des marionnettes, que par l’aspect unique de sa représentation : le lieu, la proximité avec le petit groupe de spectateurs, etc.  Il y avait un amusement bien senti à faire éclater les formes et les conventions du théâtre et du ballet, en joignant les deux disciplines à l’aspect plus comique et enfantin de la marionnette.

Peut-être que ma critique des Amoureux auront cataractes passe par un immense cri du cœur très subjectif, mais il a sa raison d’être.  Cette production très charmante représente fidèlement ce qu’arrive à faire la volonté et la passion des jeunes artistes de la relève qui travaillent à élever leur nom parmi ceux des créateurs aînés et ce, avec des moyens mis à sec depuis fort longtemps…

L’abondance de la création collective peut être un problème pour certains, mais elle a ça qu’elle parvient à faire (re) naître une solidarité entre les artistes et les artisans du théâtre, un désir commun de manipuler et d’approfondir toutes les facettes possibles de l’expérience théâtrale afin de ranimer la flamme d’un public, qui vagabonde dans la multiplicité des occasions culturelles de la métropole.

Présentée jusqu’au samedi 18 janvier 2014.  Achat en ligne à www.etlesamoureuxaurontdescataractes.com

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Mélanie Galipeau

Rédactrice, gestionnaire de communauté, entrepreneure et intervenante sociale engagée. Addict du Web et fascinée par le concept de groupe. She's a dreamer. Elle aime les fleurs, les cupcakes et dormir. Quand elle ne dort pas, elle est constamment à la recherche d'instants de zénitude et de bonheur.

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