Le Salon du livre de Montréal : là où novembre retrouve enfin un peu de lumière

Le Salon du livre de Montréal : là où novembre retrouve enfin un peu de lumière, Boucle Magazine

Novembre. Ce mois gris entre deux saisons. Trop tard pour les citrouilles, trop tôt pour le sucre à la crème. Un mois qu’on aimerait « skipper » pour passer direct à Noël. (Oui, toi, la personne qui installe ton sapin le 1er novembre pendant que tes bonbons d’Halloween collent encore aux dents, je te vois.)

Heureusement, il y a le Salon du livre de Montréal — notre grande messe littéraire, notre pèlerinage annuel vers les stands débordants, notre épreuve de zen intérieur entre deux poussettes et trois sacs à dos. C’est un peu comme un buffet chinois du livre : trop de choix, trop de monde et jamais assez de mains. Tu ressors le sac plein, le portefeuille vide et le cœur en surbrillance. Ça bourdonne, ça jase, ça feuillette — et je me laisse porter par le courant. J’avance dans les allées, où tout le monde marche lentement parce qu’on zieute les livres à gauche, à droite, partout en même temps.

Dès les premières minutes, quelqu’un me pile sur le pied. C’est la tradition. On échange un sourire poli pendant que nos orteils envisagent de poursuivre pour voies de fait. Devant moi, des cubes de livres surgissent comme des monuments éphémères. J’en repère un si méticuleusement aligné qu’on dirait qu’il a été monté par la NASA. Il est tellement droit que j’ai peur de respirer trop fort à côté. J’ai éternué. Je préfère ne pas en parler. Autour de moi, des lecteurs serrent leurs sacs contre eux comme des trésors. Il y a quelque chose de touchant là-dedans — cette foi obstinée dans les histoires, malgré les horaires de dédicaces, les files d’attente et les coudes dans les côtes.

Bien sûr, tous les gros noms s’y retrouvent et attirent la foule. Difficile de ne pas s’arrêter au kiosque des Éditions du Boréal, sans apercevoir le grand Dany Laferrière, charismatique, qui fait rire trois générations à la fois. Ou encore, de prendre sa place dans la longue file du stand de Libre Expression pour obtenir une signature de Janette Bertrand, qui, à cent ans, a encore plus de répartie que moi après deux Red Bull.

Des incontournables

Si vous cherchez l’arrêt du cœur, filez chez Alto. Leur kiosque, c’est comme tomber sur un refuge chauffé pendant une tempête de neige : ça sent bon, c’est beau, et tout le monde a l’air de lire des choses importantes. Si vous croisez Antoine Tanguay, l’éditeur, demandez-lui son coup de cœur. Vous allez le voir buguer comme un père à qui on demande lequel de ses enfants il aime le plus.

Et moi? Mon choix s’arrête sur Révolutions, de Dominique Fortier et Nicolas Dickner : un livre à quatre mains, à deux têtes brillantes, et zéro temps mort. Fortier et Dickner revisitent l’histoire par fragments, ricochets et échos littéraires. C’est brillant, culotté, et ça donne l’impression d’assister à une conversation entre deux esprits en pleine création. Une vraie fête de mots, du genre qu’on garde sur sa table de chevet pour se rappeler que novembre, finalement, n’est pas si plate que ça.

Je passe devant le stand des Éditions Somme toute où trône un livre dont le titre seul mérite un prix : Un jour, j’ai pu m’envoler. Signé par la journaliste Marie-Ève Martel, l’essai nous plonge dans son enfance, marquée par la fragilité d’une mère alcoolique. Avec beaucoup de clarté et zéro pathos, elle raconte ces années où les rôles s’inversent : quand l’enfant devient celui qui rassure, qui veille, qui grandit trop vite. J’en lis quelques pages sur place, et je décide de l’acheter pour poursuivre ma lecture dans une position plus confortable — c’est-à-dire sur le divan, avec mon chat endormi sur mes cuisses.

Pour un moment fort pendant votre visite, prenez également le temps d’assister au grand entretien avec Yasmina Khadra le 22 novembre. Écrivain immense, traduit dans une cinquantaine de langues, il viendra discuter de Morituri, de son œuvre prolifique et de ces histoires qui éclairent le chaos humain. Une rencontre rare, portée par l’une des plus grandes voix francophones d’aujourd’hui.

En continuant ma visite, je fais quelques pas et je tombe sur Deuil et curiosité, la première BD de Geneviève Côté, publiée chez Nouvelle adresse. Ce qui me séduit d’abord, ce sont ses illustrations : des traits délicats, une palette apaisante, une sensibilité qui se sent dès le premier regard. Côté parle du deuil sans lourdeur, avec une délicatesse presque lumineuse. On tourne les pages doucement, comme pour ne pas brusquer le moment. Un livre qui serre le cœur juste assez.

Je termine mon parcours au rayon jeunesse, du côté des éditions Album. Je feuillette Flop et le lac, de Marianne Dubuc — une autrice-illustratrice qui réussit chaque fois à me ramener en enfance sans jamais me prendre pour une enfant. Ici, Flop explore, rêve un peu, avance à petits pas vers quelque chose qui ressemble à du courage. C’est tendre, inventif, et ça ouvre une porte sur cette part de nous qui aime encore se raconter des histoires. J’ai souri tout du long.

Puis, évidemment, je me mets à calculer combien de nièces, filleuls et enfants d’amis je pourrais invoquer pour justifier tous mes achats. C’est fou comme ces albums colorés réussissent encore à nous toucher là où les grands mots échouent. Peut-être parce que, quelque part, on reste tous un peu cet enfant qui espère que la fin sera belle, et que quelqu’un viendra nous lire une page de plus avant d’éteindre la lumière.

Quand je referme mon dernier livre du Salon, je me dis que novembre a peut-être trouvé sa raison d’exister : nous forcer à ralentir, à s’asseoir et à se laisser bercer par une histoire.

Le Salon du livre de Montréal se tient jusqu’au 23 novembre au Palais des congrès. Pour tous les détails de la programmation, c’est par ici.

Le Salon du livre de Montréal : là où novembre retrouve enfin un peu de lumière, Boucle Magazine

Photo de couverture : Courtoisie Salon du livre de Montréal (2023).

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