Ce sont sur les planches du Théâtre Denise-Pelletier que Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin ont vu aboutir leur toute nouvelle création, Peau d’âne. En coproduction avec les Création Dans la Chambre et le Théâtre français du CNA, il s’agit d’abord d’une adaptation du conte de Charles Perrault, puis du film de Jacques Demy. Cette version se démarque et devient beaucoup plus intéressante selon moi, grâce à la touche personnalisée des créateur.rice.s qui tentent une approche féministe de la pièce.
Un conte revisité
On suit en partie la trame originale du conte : suite à la mort de la Reine, une lettre indique sa dernière volonté, soit de faire promettre à son mari d’épouser une femme plus belle qu’elle. Le roi ne cherche pas trop loin et désire épouser leur fille sur-le-champ. Pris de panique à l’idée de suivre les idées incestueuses de son père, la jeune princesse, aidée par leur ânesse, exige en échange des robes spectaculaires aux multiples couleurs en espérant qu’elles soient introuvables et que cela empêche le mariage. Cependant, le père réussit à les obtenir. Elle tente alors de lui demander une robe avec la peau de l’ânesse, ce qui mène tragiquement l’animal à la mort. Vêtue de sa nouvelle peau, elle s’enfuit. Là commence l’émancipation de la jeune femme, qui, en vêtant d’innombrables peaux et costumes, tentera d’affirmer son identité en plus d’affronter le passage à l’âge adulte. C’est d’ailleurs la deuxième partie de la pièce qui prend une autre tournure et qui s’éloigne de l’histoire telle qu’on la connait. Un peu plus osée et surprenante, elle laisse entrevoir un nouveau destin à la princesse.
Un univers visuel flamboyant
Sur scène, on retrouve le duo de Sophie Cadieux et Éric Bernier. Sans aucun doute, leur jeu est solide et empli de nuances. À eux deux, plusieurs personnages prennent vie et nous transportent dans un univers ludique et déroutant. Bien que leur performance soit à la hauteur du texte et de nos attentes quand on voit ces acteur.rice.s, il aurait peut-être fallu une troisième personne afin d’éviter certaines confusions narratives. Il peut être assez complexe de suivre le fil de l’histoire si on ne connaît pas déjà Peau d’âne!
Félix-Antoine Boutin livre une mise en scène comique, rythmée et originale. J’ai personnellement été conquise par les choix scéniques et les chorégraphies qui donnaient une allure plus contemporaine et cinématographique à la pièce. Et que dire des costumes effectués par Elen Ewing, éléments visuels clés de l’œuvre. Les comédien.ne.s enfilent grand nombre d’habits majestueux, tous aussi imposants et éblouissants. D’un point de vue esthétique, on est bien servi par la scénographie parsemée de dorure et par l’ambiance chaleureuse récréée du château et de la forêt.
La princesse, la femme
Ce que j’ai aimé dans cette adaptation, c’est que la protagoniste n’incarne pas l’archétype de la princesse, mais illustre bien l’émancipation de la femme en elle. Cet apport féministe à la pièce devient puissant et ajoute une dimension beaucoup plus actuelle et attrayante. Sa force, sa fougue et son esprit vif font d’elle un personnage plus captivant qu’une simple princesse en fugue qui épouse finalement un prince. Au contraire, elle est combative, futée, et elle arrive à s’esquiver des mains des hommes qui la pourchassent. La fin de la pièce est ainsi différente du conte original, montrant une princesse qui ne se contraint pas au mariage et à l’amour et qui préfère choisir sa liberté. Son identité et son indépendance demeurent prioritaires, elle tente de choisir la véritable « peau » qu’elle souhaite montrer et investir.
Peau d’âne commence sa lancée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 octobre et sera au Théâtre Baps Asper du Centre national des Arts à Ottawa du 31 octobre au 2 novembre 2024.
Crédit photo de couverture : Victor Diaz Lamich