Les mutant.es, c’est une dizaine de personnes dans la quarantaine qui se retrouvent dans une salle de classe. Ensemble, le groupe doit accomplir plusieurs épreuves pour réussir sa graduation. Dans une mise en scène de Sylvain Bélanger et dans un texte cosigné par ce dernier en compagnie de Sophie Cadieux (également comédienne dans la pièce un soir sur deux), les interprètes, sur scène, sont guidés par plusieurs jeux différents comme Je compte, je m’adapte, je m’oriente.
Cette pièce n’est pas totalement nouvelle. En effet, en 2011, Sylvain Bélanger et Sophie Cadieux, ainsi que plusieurs des interprètes de 2023, ont présenté Les mutants dans laquelle des trentenaires se retrouvaient dans une salle de classe le temps d’une soirée. Malgré que le concept soit à priori le même, la pièce de 2023 est totalement différente. L’ajout du point inclusif n’est pas sans signification. La pièce interroge et joue avec différentes sphères de notre vie sociale et collective actuelle. Dans ce monde polarisé, subjectif, branché sur le web et toujours en questionnement, qu’est-ce qui nous définit réellement?
Se questionner, toujours se questionner
J’ai complètement été emportée dans la vague des différents ateliers proposés, très différents les uns des autres. Il y a, notamment, un jeu de citations dans lequel une personne prononce une phrase (ou un court paragraphe) et où les autres doivent dire si celle-ci est authentique ou copiée, interrogeant ici à la fois cette volonté de devoir montrer nos connaissances et de se distinguer des autres. Dans un atelier suivant, je m’adapte, les élèves doivent présenter comment ils s’adaptent à un danger. Suite à ces présentations, la personne ayant fait la meilleure présentation gagne un bail raisonnable. Bref, on rit jaune tout au long de la pièce. On nous présente un reflet de notre société, un condensé d’une variété d’expériences. Le travail créatif de l’équipe est absolument impressionnant.
Les références sont toujours variées et accessibles à plusieurs publics. Il y a, par exemple, des références du début des années 2000 lorsqu’on présente une émission de télévision dans laquelle le présentateur va à la rencontre d’un homme qui possède un ordinateur à la maison. La distance entre cette réalité pourtant pas si lointaine et notre réalité contemporaine est claire. Il y a également des références très actuelles comme la reprise de la chanson Devenir immortel (et puis mourir) de Loud à la fin de la pièce. Puis, un atelier dans lequel deux élèves (Anne-Marie Levasseur et Nicolas Michon) s’affrontent en disant (ou en montrant) ce qu’ils font de bien pour la société. L’une présente entre autres, plusieurs investissements bénévoles dans des organismes, des conseils d’administration, etc. Elle semble rapidement démoralisée lorsque son adversaire (Nicolas Michon) présente un montage photo de lui en train de ramasser des déchets, donner un sandwich à une personne en situation d’itinérance, etc., et est systématiquement acclamé par ses pairs. Ce tableau montre bien l’importance de montrer et de se montrer aux autres, rappelant la place que prennent les réseaux sociaux dans nos vies. Bref, les différents tableaux forment réellement une mosaïque relativement exhaustive de la vie au Québec, et pas seulement pour les quarantenaires.
Jeu et mise en scène
J’aimerai enfin dire un petit mot sur le jeu des interprètes, ainsi que sur la mise en scène de Sylvain Bélanger et de son équipe. Les mouvements des interprètes sont cohérents et créent un tout agréable à regarder, autant dans son ensemble que par un jeu corporel individuel constant. En effet, tout au long de la pièce, l’ensemble des comédien.ne.s sont présent.e.s, ce qui peut être un enjeu de mise en scène important. Pourtant, c’est réussi avec brio. Les interprètes sont tous investi.e.s en tout temps dans leur jeu corporel et ce, même s’iels n’ont pas nécessairement de répliques.
J’ai trouvé que le texte était très bien réparti parmi la dizaine d’étudiant.e.s, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir un portrait assez clair de chacun.e d’entre eux.elles. Tous.tes si différent.e.s les un.e.s des autres, mais à la fois connecté.e.s sur des problèmes similaires. Certains personnages sont plus intenses, comme celui de Sophie Cadieux qui semble très anxieux, ou encore celui de Simon Rousseau qui livre un discours enflammé en début de pièce sur la possibilité du Québec de devenir le 51e état américain, pour ensuite faire une sieste durant un bon moment. Bref, ce sont vraiment des personnages uniques qui nous sont présentés. Je dois avouer que j’ai particulièrement aimé le jeu d’Olivia Palacci qui m’a beaucoup fait rire. Ceci dit, l’ensemble des interprètes est vraiment impressionnants à voir aller. Finalement, un autre aspect intéressant de la pièce est la présence, à chaque représentation, d’un vrai professeur, accueillit comme la royauté, qui vient livrer un discours sur la façon dont il reste d’actualité.
J’ai donc vraiment eu beaucoup de plaisir à regarder cette troupe jouer ainsi sur la scène. Les Mutant.es, c’est une pièce actuelle, drôle, touchante, déstabilisante, mais surtout un portrait assez exact des questionnements et enjeux qui façonnent notre vie quotidienne collective.
La pièce Les mutant.es est présentée au Centre du théâtre d’aujourd’hui jusqu’au 16 octobre. Pour une sortie agréable qui amène des réflexions, c’est par ici.