La Saint-Valentin s’en vient, fête de l’amour pour célébrer les couples. J’adore ça, pas de problème, mais ça m’inspire aussi à écrire sur l’amour envers soi : le respect de soi et de nos limites. Ça m’aura pris plusieurs années, pratiquement une décennie, mais je suis prête à écrire sur le sujet. Je vais avoir un respect envers moi-même pour briser le silence sur quelque chose qui m’a profondément blessée.
Allaitement. Ce mot m’a fait pleurer, souffrir, m’a mis de la pression, m’a détruite. Comprenez-moi bien, je suis pour l’allaitement. Que le bébé se nourrisse du lait de sa maman, je trouve ça logique, sain et naturel. l
La pression d’allaiter et se faire shamer pour le faire, ça, je l’ai vécu, je suis contre et je sais que je ne suis pas seule. Je l’ai vécu par des infirmières et par le biais du programme « amis des bébés ». Je n’ai rien envers elles, elles ont fait leur boulot, mais elles ne m’ont pas vu, moi. Me relevant d’une césarienne à moitié morte et étant trop fatiguée pour parler ou même décider, elles ne m’ont pas laissé le choix. Elles ont mis mon bébé au sein sans me poser la question. On m’a nommé des choses sur mon corps : «Tu n’as pas les mamelons érectiles », « j’espère que tu ne donneras pas de suce à ton bébé », « achète toi une téterelle, ça presse » et j’en passe. D’ailleurs, une amie s’est réveillée, car une infirmière lui passait des glaçons sur les mamelons. Ça m’a marquée. Personne ne m’avait préparée à ça. J’ai suivi, car c’était la seule option. On n’a pas demandé ni à moi ni au père du bébé si on avait du lait en bouteille ou si on en voulait. Ceci étant dit, je n’en avais pas. Je voulais allaiter : tout le monde m’en avait tellement parlé. Je me sentais déjà loser de ne pas essayer.
Après ma césarienne, j’ai perdu 2.9 litres de sang sur 7. J’ai frôlé la transfusion et mon corps ne m’a envoyé ma montée laiteuse qu’après 9 jours. Pourtant, l’infirmière qui est venue à la maison deux fois ne m’a jamais parlé de ça. Elle m’a dit «tire ton lait, ça va arriver» et elle m’a dit de mettre un tube branché sur du lait maternisé et de le placer sur mon sein pour nourrir mon bébé afin de ne pas «compromettre» mon allaitement. Je ne tiens pas à diaboliser les infirmières ici. Ce sont des femmes tellement attentionnées et importantes dans la société. Je n’en veux à personne, j’ai juste des questionnements sur le cheminement. Je ne veux pas semer la polémique, mais parler d’une réalité cachée.
J’ai pris du fer pendant 6 mois tellement j’étais anémique. Mes lèvres ont été blanches pendant 3 mois. À quelques jours de vie, mon bébé a été hospitalisé pour un problème mineur et une pédiatre de Ste-Justine m’a regardé et m’a dit « allaitez-vous» ? J’ai répondu courtement, car je me sentais honteuse d’avouer que j’étais en train de me vider de mon énergie et de ma santé. J’étais à bout des : « tu vas voir, tu vas l’avoir, ça va venir ». Elle m’a dit : «allaiter, c’est beau, mais la santé de maman ça passe avant. » Elle m’a ensuite prescrit du lait spécialisé en lien avec les difficultés de mon enfant et elle m’a aussi dit « Il y a des limites à vous mettre à terre. » Pour moi, c’est elle qui a été l’ « amie de maman ».
J’ai eu, à cet instant, une illumination. Un médecin qui me dit que je suis importante et que, dans un sens, je suis quand même une bonne mère si je n’allaite pas ? À peine sortie de l’hôpital, j’ai jeté les tubes, j’ai acheté le lait et après près de deux semaines de vie de mon bébé, j’ai appris que de nourrir son enfant en étant reposée et heureuse, ça se pouvait. J’ai pu regarder le papa donner à boire, la grand-maman et tous ces gens qui aiment mon enfant. Surtout, j’ai enfin vu mon bébé s’endormir après un boire satisfaisant.
Pour mon deuxième enfant, né aussi en césarienne, j’ai exigé que personne ne me parle d’allaitement. J’étais prête à allaiter, mais mon sac était aussi plein de bouteilles de lait maternisé. Je me disais que c’était à moi de décider. Le médecin qui m’a opéré a dû passer le message, car personne ne m’en a parlé. À ce moment-là, mon bébé avait du liquide amniotique sur les poumons et j’ai donc eu mon congé avant lui. J’ai demandé une chambre à l’aile maternité pour rester proche. Première question que l’on m’a posée : «allaitez-vous? » J’ai dit non. La personne m’a alors dit que les chambres étaient pour les mamans qui allaitent, étant la source de nourriture des bambins. À ce moment précis, j’ai réalisé que je me faisais tasser, jeter.
J’ai demandé poliment s’il y avait des chambres de libre et je me suis engagé à partir s’il y avait une maman qui allaite qui arrivait et qu’il n’y avait plus de chambre. Je crois que l’infirmière a vu ma détresse et ma colère et on m’a laissé y aller. Partout, sur les murs, il y avait des affiches notant l’importance du corps-à-corps. Pourquoi cela ne s’appliquait plus à moi ? Parce que je n’allaitais pas ? En n’étant pas la source de nourriture, on me laissait aller finalement.
Retourner chez moi et revenir pendant les deux jours qu’il est resté à l’hôpital ne m’aurait jamais permis de le faire aussi souvent qu’en restant tout à côté. Le nutritif, c’est bien, mais qui a pensé à notre affectif ? C’était mon deuxième bébé et j’allais bien. L’expérience m’a donné la force d’insister pour être près de ce deuxième enfant, qui n’a finalement pas eu une seule goutte d’allaitement.
À deux mois de vie, en arrivant à la clinique pour le premier vaccin, la personne à l’accueil m’a remis un questionnaire et m’a demandé si j’allaitais. J’ai répondu non et je m’assumais. J’ai eu le droit à « vous avez décidé de ne pas donner ce qu’il y a de mieux à votre bébé ?» Frustrée et humiliée, j’ai répondu que « non, j’ai décidé de ne pas donner le meilleur à mon bébé. » La personne s’est à peine excusée. J’ai eu le sermon des otites et de la protection des infections. Je comprends que les études prouvent que le lait maternel est mieux adapté au bébé. Je l’accepte et je le crois. Mais à quoi ça sert de le dire à une jeune maman qui n’allaite pas depuis déjà deux mois ?
J’en ai parlé, on m’a dit que je suis tombée sur une exception, que ces personnes étaient trop intenses. La vérité, c’est que les jeunes mamans qui l’ont vécu autour de moi, elles sont nombreuses. Je pense que ce qui est intense, c’est d’insister pour l’allaitement. Je crois aussi que, maintenant, c’est une pratique moins courante. Je le dis et je le répète : je crois à l’allaitement, mais pas à mon détriment, pas au détriment des parents, des mamans. Il n’y a pas que nourrir son bébé, il y a la disponibilité affective et le relationnel à développer. Si allaiter est une tâche, que ça fait mal et que ça ne te convient pas, ne doutes jamais que tu es une bonne maman quand même.
Je n’ai pas allaité. J’ai essayé et ce n’était pas pour moi. Si tu te sens forcée et poussée, écoute ta petite voix et respecte-toi. Mamans qui allaitent, mamans qui n’allaitent pas, soutenons-nous mutuellement. Marraines d’allaitement, infirmières, intervenantes, n’oubliez pas les mamans, vous êtes nos modèles. Vous êtes bien plus que de simples personnes qui enseignent des techniques : vous avez un impact sur notre maternité. Pour moi, ça a laissé une trace indélébile dans mon cœur et dans ma confiance de mère. Au sein, au biberon, faites ce que vous pouvez.
Merci à V. avec qui j’en ai discuté récemment et qui m’a fait réalisé que j’en suis encore marquée. Nos corps, nos choix.
Merci à toi aussi, infirmière que je n’ai jamais remercié de m’avoir laissé passer deux nuits proches de mon bébé. C’était il y a plusieurs années, mais ton geste de cœur me touche encore.
Merci pédiatre de Ste-Justine, je me souviendrais toute ma vie de ta bienveillance envers moi.