Le 1er mars dernier, j’ai sorti mon crayon HB et mon cahier Canada et j’ai regardé comme des milliers de Québécois, M. Jean-François (Roberge), à Tout le monde en parle. Je me permets de vous appeler M. Jean-François, car d’une certaine façon on est intimes: je vous ai confié mon vote, le Québec lui vous confie ses enfants. Cet aspect, j’aimerais que vous ne le perdiez pas de vue. Des milliers de parents, sans vraiment en faire le choix, vous confient leurs enfants.
Vous êtes arrivé vêtu d’un beau costard d’homme d’État et je vous assure que je vous ai donné votre chance. Tout de suite, vous nous avez fait rêver avec des écoles noyées de lumière naturelle et dessinées par des architectes. Voyez-vous, M. Jean-François, à ce moment précis vous m’avez perdu. Bien que ce fût habile de parler des écoles en ruines et du plomb dans l’eau, vous avez passé à côté de l’essentiel.
Quand on fait des cupcakes, il faut penser à trois choses: la qualité de la pâte, le type de moules et l’accès au four. Voyez-vous la pâte, nous les parents on vous la fournit: de la bonne pâte prête à apprendre et de toutes les saveurs, de toutes les couleurs. La pâte au Québec il y en a. Les moules, c’est l’élément clé, car il contient la pâte, il permet à la pâte de se former de la meilleure façon qui soit. Il y a des moules métalliques et des moules de silicone pour assurer que chaque pâte soit prise en charge de la bonne façon. Même des moules spécialisés pour la pâte qui a des besoins de cuisson différents. Le four, même s’il est un peu défraîchi, va cuire la pâte quand même. Si le four est défectueux non, mais s’il est un vieux modèle fonctionnel, il n’y a aucun souci. Occupez-vous des moules en premier, car sans moules la pâte ne cuira jamais de façon à faire des cupcakes: la pâte ira dans tous les sens sans direction ou guidance. Vous aurez compris que quand je dis «le four», je parle ici des bâtisses. Une fois les moules bien en poste en grande quantité et en variété, vous les agrémenterez à votre goût. Vos plans d’architecte, c’est comme les petits bonbons sur le dessus: c’est à la fin qu’on fait cela.
Les moules ce sont nos profs. Vous demandez aux moules de prendre trop de pâte et ça déborde. Plus que cela, vous voulez un seul type de moule: tant pis si les différents types de pâtes ont besoin de différents types de moules, on verra cela plus tard! Vous avez parlé de pénurie de personnel professoral et vous avez été habile. Vous avez dit que vous avez élargi l’accès à l’enseignement par des gens non qualifiés, mais en attente de qualifications ou en reconnaissance des acquis. Cela avait l’air si beau dit comme cela à l’écran. La vérité, vous le savez, c’est que maintenant des gens enseignent à nos enfants sans brevet d’enseignement et sans nécessairement devoir aller le chercher. La suppléance se donne à des gens qui ont seulement 1/3 de BAC complété et j’ai déjà été témoin d’un prof d’anglais qui ne parlait pas anglais! Vous faites croire aux gens que la cavalerie s’en vient et cela m’attriste, car comme moi, vous savez que c’est le contraire. Je ne dénigre pas tous ces gens qui viennent aider de bonne foi, car ils sont courageux et utiles, je ne remets pas ici en cause leur désir de contribuer, ni leurs compétences distinctes. De dire aux enseignants que l’année prochaine ça ira mieux et que l’autre d’après encore mieux, c’est comme de dire à quelqu’un qui est en train de se noyer de tenir son souffle, même si tu as les poumons pleins d’eau. L’année prochaine, il y aura trop de profs qualifiés qui auront quitté et qui se seront noyés dans l’océan de promesses vides.
Quand les poissons quittent une rivière subitement, que les guêpes désertent leur nid de façon massive et que les animaux fuient la savane, il faut s’y attarder, car, en général, ce n’est pas bon signe. C’est qu’il y a un danger ou le feu. Voyez-vous M. Jean-François, dans les écoles il y a le feu. Le temps d’agir et de faire preuve du leadership dont vous êtes capable a sonné, il n’est pas trop tard.
Vous savez, depuis presque 20 ans je m’occupe de jeunes enfants et je leur enseigne ceci : apprendre à reconnaître quand on a tort et recommencer. Faire des erreurs c’est normal: ne pas les reconnaître, non. Quand j’ai entendu le premier ministre au débat des chefs parler des enfants et dire qu’il ne pardonnerait jamais au gouvernement libéral ce qu’il avait fait aux enfants du Québec (coupures massives), il m’a eu. Je m’étais dit à l’époque « enfin un gouvernement qui se soucie des enfants ».
Les maternelles 4 ans ne sont pas une priorité, un système alternatif de qualité existe déjà, les écoles redessinées avec des boiseries, ce n’est pas une priorité non plus. Régler le plomb, ça oui, la moisissure aussi, mais avant le design et la lumière naturelle il y a autre chose. Des classes qui manquent d’équipement, des profs laissés à eux-mêmes avec des élèves aux diagnostics beaucoup trop lourds pour être intégrés sans aide supplémentaire, des bibliothèques scolaires aux collections mortes sans nouveaux livres injectés, des gymnases qui manquent d’amour et puis des profs de musique qui réparent des instruments au ducktape et je ne parle même pas des cours d’école. Des locaux improvisés dans des corridors, des casiers rouillés, des tapis défraîchis et j’en passe, ça, c’est majeur.
Je suis une contribuable qui n’est pas prof, mais je vous le demande : écoutez les profs, car si vous perdez vos profs vous allez perdre la qualité de l’instruction publique. Vous avez mentionné subtilement que les demandes syndicales étaient très élevées, c’est normal: les attentes envers les profs ne sont-elles pas élevées? Si vous perdez la qualité de l’instruction publique, vous allez perdre la valeur du diplôme québécois et la création de talents et augmenter le nombre de décrocheurs. Ce n’est pas un petit enjeu, c’est majeur. Alors, écoutez-les vos profs. L’école n’est pas en santé et ils sont l’antidote. J’imagine que vous n’avez pas quitté la profession par surplus de bonheur, mais par désir d’engagement et de changement. Je ne suis pas prof, je suis une citoyenne qui regarde et qui voit ce qui se passe et je vous demande d’agir vite et de connecter avec vos anciens collègues, et ce pour le bien collectif.
Vous avez refusé de vous octroyer une note, vous avez dit « peut faire mieux ». Je me permets de vous en donner une : « E » pour EFFECTIVEMENT.
Mille fois bravo pour cet éloquent message. Vous imagez à merveille les problématiques de notre système d’éducation et les solutions illusoires proposées par nos dirigeants. Je suis une enseignante passionnée, en mathématiques au secondaire, et ce depuis 26 ans. Mais je doute pouvoir me rendre jusqu’à ma retraite prévue dans 4 ans. Car malgré toute mon expérience et mon indéfectible dévouement pour cette profession, je ressens de plus en plus de mépris de la part de mon employeur (le système) qui remet constamment en cause mes compétences (autrefois reconnues). Et là, je suis franchement si essoufflée que je songe, malgré les pénalités salariales, à délaisser la profession. Le salaire ne peut suffire à mon épanouissement, à ma santé. Notre système d’éducation, pourtant en piètre état, se privera de 4 belles années d’expertise de la part d’une de ses précieuses ressources…