Discussion: sexualité féminine et pression sociale

On vit dans une époque où le sexe est omniprésent. On en parle en long et en large dans tous les médias, il est au cœur des rencontres et des discussions, et encore davantage au cœur des applications de rencontre et des discussions en ligne. Nécessairement, il est facile de penser que cette valorisation de la sexualité engendre une certaine pression à avoir une vie sexuelle active.

Dans le cadre du dossier thématique, j’ai décidé d’en discuter avec cinq femmes de mon entourage dans la mi-vingtaine. Trois d’entre elles sont en couple, deux sont célibataires. J’ai cherché à savoir quelle était leur relation avec la sexualité et si elle ressentait une pression quelconque à devoir l’entretenir. Comment la sexualité fait-elle réellement partie de leur vie courante? Comment composent-elles avec les normes sexuelles valorisées par leur cercle social? Se sentent-elles contraintes ou au contraire, libérées? Voici quelques-uns des constats qu’elles m’ont partagés, sans tabous ni jugements.

Quelle place a la sexualité dans votre vie quotidienne?

Katherine* : « Je dois dire que c’est la première relation de couple où je fais aussi peu l’amour. On parle d’environ une fois par mois… Mais honnêtement, ça me convient. On a notre routine bien établie et on est respectivement épuisés avec les études et le travail. Quand on a notre journée dans le corps, on n’a juste pas envie de le faire. Ma libido a quasi disparu avec l’arrivée des responsabilités plus grandes. Honnêtement, mon rythme de vie affecte vraiment beaucoup l’énergie que j’ai, pis veux veux pas, t’as besoin d’énergie pour faire l’amour! »

Ressens-tu une pression de le faire davantage?

Katherine: « C’est vis-à-vis mon chum que je me mets une pression. Je sens qu’il en aurait besoin plus que moi, mais il dit rien. Parfois, je pense que j’échoue à mon devoir conjugal… Pour ce qui est des autres, je m’en vanterais pas nécessairement, mais je me compare pas non plus. Je me doute déjà qu’on est en dessous de la norme. »

Les autres filles en couple, comment vivez-vous ça de votre côté?

Cynthia: « Moi, j’ai besoin que le gars soit entreprenant pour être turned on. Moindrement que je dois faire les premiers pas, oublie ça, je suis pas dedans. C’est comme si le gars devait toujours avoir ce rôle-là pour que ma vie sexuelle soit vivante. Mais là, mon chum a pas tant de libido ces temps-ci, ce qui veut donc dire qu’on le fait vraiment moins qu’avant… C’est rendu que j’ai un barème de une fois par semaine, et je m’arrange pour le respecter. Ça va sonner bizarre, mais c’est presque une tâche de la vie courante ces temps-ci, baiser. »

Isabelle: « Moi aussi, la pression est au niveau de la fréquence. Avec mon copain, dès que ça fait deux ou trois jours qu’on n’a pas baisé, je me questionne énormément et je me dis que c’est anormal. Tsé, on est un jeune couple sensé avoir de l’énergie et une grosse libido, donc baiser le plus souvent possible. J’ai l’impression que le couple est moins en santé s’il baise pas souvent. Aussi, des fois je me dis qu’on devrait avoir le goût d’essayer des affaires qui sortent de l’ordinaire, genre baiser en public, et que si on le fait pas c’est comme si on passait à côté de nos fantasmes de jeunesse. Je ressens une très grande pression par rapport à ce que devrait être une vie sexuelle « parfaite » pour un couple dans la vingtaine. Ça vient pas du tout de mon chum, lui est heureux et me le dit. C’est vraiment moi qui me compare et me questionne constamment. »

Juliette: « Mais tsé, ça devrait pas être une tâche ou une corvée, juste parce que ça fait un certain temps que ça a pas été fait. Quand tu couches avec l’autre, il faut que ça te tente à 100% là! »

Vicky: « Oui. Pour ma part, j’ai jamais vu ça comme une corvée. Par contre, quand j’étais en couple, il y avait certains moments où je ressentais une grande pression à faire l’amour. Genre, si c’était la fête de mon amoureux ou la Saint-Valentin! Parce que justement ce sont des événements où il est socialement encouragé de baiser. Mais c’est pas quelque chose qui se commande là! »

Katherine: « Je suis d’accord. Moi ça m’est arrivé lors de notre soirée de célébrations de 1 an de couple. On avait loué une chambre d’hôtel, acheté du champagne et apporté un jeu sexuel. Et une fois sur place, on n’avait vraiment pas le goût de baiser. Je me sentais mal, mais en même temps, ça venait de mon copain aussi. »

Les filles célibataires, quelle est votre relation avec la sexualité?

Juliette: « Ma libido est vraiment présente. J’ai pas de routine sexuelle et je sais pas c’est quand la prochaine fois que je vais baiser. Disons que j’ai hâte à cette prochaine fois-là pis que je pense au sexe assez souvent. »

Vicky: « Moi aussi. Parfois, j’ai le goût de sexe sans lendemain, mais pas à n’importe quel prix. Personnellement, j’ai pas le goût de faire ça avec un inconnu. Ça me rend inconfortable. Pourtant, c’est sûr que j’assouvirais mon besoin de sexe au moins un peu, mais je trouve pas ça safe. Selon moi, ça vaut pas le coup de se donner à n’importe qui pour peut-être avoir un orgasme ou pour avoir de quoi à raconter à ses amies. Mais quand le timing est bon, que j’ai confiance en la personne et qu’elle m’attire, ben go! »

Considères-tu que le sexe en couple est meilleur que le sexe en tant que célibataire?

Vicky: « Mettons que les one night, c’est jamais du sexe incroyable pour moi. Le meilleur sexe que j’ai connu reste celui que j’avais avec mon ex avec qui j’ai été trois ans. La complicité et la chimie étaient bien meilleures que n’importe quelle aventure que j’ai eue par après. »

Isabelle: « Oui, je pense aussi que le sexe en couple est meilleur. Par contre, c’est l’excitation du début qui manque après un certain temps. Cette flamme-là ne revient pas et c’est un peu triste. On peut pas tout avoir! »

En tant que célibataires, ressentez-vous une certaine pression à baiser?

Juliette: « Oui. Tout le monde te demande si tu profites de ton célibat pour forniquer, si t’es active sexuellement, si tu fréquentes des gens. Quand ça se passe pas, c’est confrontant pis tu te remets en question. On a une plus grande liberté, oui, mais j’en n’ai pas nécessairement plus besoin même si je peux faire ce que je veux quand je veux et avec qui je veux. C’est pas si simple que ça. »

Vicky: « Le dating life quand t’es seule, c’est très axé sur le sexe. Les one night sont valorisés. Pis on s’entend que dans une relation amoureuse avec quelqu’un, le sexe est important. Donc autant bien le savoir rapidement si ça marche sexuellement ou pas. Pourtant c’est pas juste ça qui est important dans les premières rencontres, mais c’est beaucoup ça qui intéresse les autres… »

Juliette: « Tellement. En première date, je me demande tout le temps à quel point je dois me rendre loin. Faut tu je que french? Faut tu je que fourre? Quel acte rend ma rencontre valide? Le fait de ne pas avoir de contact physique me donne de l’anxiété et je me dis que c’était probablement une soirée ratée, qu’il manquait peut-être de quoi. Est-ce qu’une date qui se termine avec deux becs sur la joue est un échec? On dirait que je le sais pu… Quand je parle à mes amies et que je leur dis « hey j’ai eu une date hier, mais y s’est rien passé », j’ai l’impression que c’est mal perçu. »

Isabelle: « Mais par contre, l’inverse se produit aussi. Dans tous les cas, tu t’exposes à un jugement. On met le sexe au centre des rencontres, mais y a pas de norme ou de bonne manière de faire. »

Cynthia: « Je trouve juste ça dommage à quel point c’est au centre de tout, justement. C’est rare qu’on te demande « Hey as-tu rencontré une belle personne, un bon ami récemment? Un collègue que t’aimes bien? » Non c’est toujours « Hey as-tu trouvé l’homme de ta vie? Un petit chum? Un fuckfriend? » Le focus est carrément là. Quand tu n’as personne dans ta vie, amoureusement ou sexuellement, la société fait tout pour te faire croire qu’il te manque quelque chose. Pourtant tu peux être tellement épanouie sans partenaire! »

Juliette: « Je remarque que beaucoup de gens me demandent aussi combien de temps s’est écoulé depuis ma dernière relation sexuelle, comme si je pouvais pas m’autosuffire! On a des cycles dans la vie : des moments où on n’a pas le goût de baiser ou de rencontrer et des moments où on a le goût de baiser tout le temps et de faire des rencontres. Les deux sont possibles, faut juste s’écouter. »

Comment pensez-vous qu’on peut se défaire de cette pression sociale liée à la sexualité?

Katherine: « Je pense qu’ultimement, s’écouter est ce qui est le plus important. Il faut autant que possible se foutre des normes et modes imposées par la société et se faire confiance. Célibataires ou en couple, nous devons nous centrer sur nos besoins individuels et essayer de les combler le plus possible. »

Isabelle: « Oui, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Je réalise que c’est bien complexe, la sexualité quand on en parle ouvertement comme ça! »

Cynthia: « Complexe mais aussi magnifique, faut pas l’oublier! »

*noms fictifs

Photo of author

Anabelle G. Turcotte

Étudiante en création littéraire. Amoureuse des mots. Globe-trotter à temps partiel. Wannabe foodie.

Laisser un commentaire