On se méprend souvent sur les films. On ne se rend pas toujours compte que notre appréciation d’une production cinématographique est continuellement biaisée par notre « mood » actuel. Le meilleur exemple : pourquoi avons-nous une liste infinie de films que l’on désire voir, dont on a entendu parler, desquels tout le monde nous casse les oreilles et nous reproche de ne pas les avoir vus, et qu’on choisit tout de même de regarder les mêmes films qu’on a vus 42 fois? Le « mood ». Ah non, j’ai pas envie d’un film lent, j’ai pas envie de réfléchir.
Oui, il faut être dans un « mood » pour regarder Les nuits blanches du facteur. On ne peut y échapper : c’est un film lent, qui s’écoule doucement, qui ne se précipite pas, qui prend le temps qu’il faut pour se concentrer uniquement sur les personnages et non sur l’action. Les événements, les motivations découlent d’eux directement. Elles ne sont pas précipitées, inventées : elles proviennent directement des humains, au naturel, sans artifices.
Je ne peux pas parler du film d’Andrei Konchalovski sans parler du travail incroyable du directeur de la photographie, Aleksander Simonov. La lenteur des plans, l’étirement du temps et l’énergie consacrée à montrer les choses simplement, sans fioritures, avec un immense respect pour l’énergie qui se dégage du petit village dans lequel habitent les personnages témoigne d’un grand savoir-faire et d’un désir de véracité. Justement, ce naturel est corroboré par l’utilisation de non-acteurs. En effet, l’histoire est basée sur la vie réelle des habitants de ce lieu, et les acteurs jouent en quelque sorte leur propre rôle. Les lieux sont bringuebalants, éclectiques et font cohabiter la pauvreté ainsi que l’effet statique qu’un petit village reculé de la civilisation peut éprouver avec l’essor de la technologie et le changement graduel des mœurs qui bouleverse les traditions tranquilles de la communauté.
Dans l’ensemble, je considère que le film témoigne habilement du propos tenu. Suite au vol du moteur de son bateau, le facteur de la région se voit dans l’incapacité de distribuer le courrier aux habitants qui, dès lors, se voient menacés d’être coupés de la civilisation. L’enjeu, fort simple, laisse place au foisonnement des thématiques. Liens intergénérationnels, solitude, valorisation face à une communauté, tranquillité, valeurs patrimoniales. La presque absence de musique extra-diégétique durant le film permet d’adhérer encore plus au réalisme de l’action.
Les acteurs, de par l’interprétation de leur propre vie romancée, sont d’un naturel désarmant. La relation entre Alexei, le facteur, et Timur, le fils d’une ancienne amie, est d’une beauté simple, véridique et découlant du pur naturel. Elle est ficelée avec brio. Par contre, j’avoue avoir été dérangée parfois par le manque de tact et l’incongruité des réactions du facteur face aux autres habitants. Quelques malaises ici et là, quelques incompréhensions, mais surtout la compréhension du mode de vie complètement différent de ces gens qui vivent reclus de tous.
La lenteur ne m’a pas dérangée, au contraire elle sert le film. Cependant, n’écoutez pas ce film en vous attendant à de la grosse action : c’est un film centré sur la psychologie de ses personnages. C’est un film sensible à consommer à un moment où l’on a envie de se plonger dans la tête de quelqu’un, de ressentir la solitude d’un lieu qui nous est étranger. Cependant, ce n’est pas un film qu’on regarde encore et encore et encore et encore. On en saisit la beauté au premier coup d’œil.