S’y voir parce qu’on ne se voit pas ailleurs – Lettre d’opinion sur le théâtre

En réponse à l’article de Catherine Cliche : « J’me voyais déjà » 

Je me souviens que je m’y voyais aussi. Dans une époque si loin de moi et pourtant si près de mon but. Au plus près que j’aurais été. Parce que j’y croyais, vraiment. J’y croyais si fort que je me voyais là, moi aussi, ne pouvant me voir ailleurs, de toute façon.

Le documentaire me rappelle ce souvenir d’espoir vers un passage plutôt étroit dans le domaine artistique : le jeu – le devant de la scène et de la caméra. J’avais vu pour la toute première fois ce reportage à Télé-Québec, en 2009, suite à mes propres auditions dans deux des cinq écoles de théâtre qui forment les acteurs au Québec. J’étais en attente, mais pas trop. Je me rappelle. J’avais tout donné et je savais que ce n’était malheureusement pas suffisant pour ce domaine que de tout donné ce que l’on peut offrir. S’offrir en appât à un cercle beaucoup trop fermé, que la plupart des artistes considèrent déjà comme trop large pour remplir les quelques rôles possibles.
Alors oui, une première sélection très rigoureuse d’environ 10 à 14 comédiens et comédiennes par école, par année, pour un total d’environ 50 à 70 sur les planches du Quat’sous chaque mois de mai. Tous se cherchent un agent, des contrats, des plateformes de diffusion et… se tournent vers la création, ne comptant finalement que sur eux-mêmes pour survivre. Ça fait beaucoup de monde en quête d’un désir inassouvi, en attente de l’après-école, dont on leur a tellement parlé. Suite à cela, une autre sélection naturelle se fait au terme des toutes premières années d’une maigre carrière, certains s’orientant vers un nouveau domaine, complètement à l’opposé de ce qu’ils aimaient, au départ. Ce qui les faisait vivre les empêche maintenant de survivre… du moins, s’ils ne se tournent pas vers les restos et les petits postes ‘‘d’en-attendant’’ pour lesquels ils n’ont pas étudiés, pour lesquels ils n’ont pas autant sacrifiés.

Quelques-uns réussiront, oui. Il en faut bien pour donner de l’espoir aux autres. Ça peut prendre quelques mois, voir quelques années avant d’y parvenir. Difficile d’établir une norme générale dans ce métier, tout est question de circonstances. Tout. Il faut être polyvalent et ouvert à tout. Il y a le travail, le talent… et la chance, qui joue pour beaucoup. Sinon, comment expliquer que parfois, une carrière peut se construire à partir d’une accumulation de petites expériences dans le domaine auprès d’une agence, sans avoir fait l’école ? Comment expliquer que certains peuvent réussir sans n’avoir fait aucune formation même relié à l’emploi ? Et ces humoristes, ces animateurs – ces impresarios riches à craquer, même! – ces enfants de la télé et j’en passe ?
Il n’y a pas de règle en théâtre, ni dans l’art en général. C’est une jungle d’essais-erreurs et de persévérance. Il faut apprendre vite ou s’entourer de ceux qui apprennent vite, pour survivre. Mais, il ne faut pas s’imaginer qu’on ne leur raconte jamais tout ça, à ces comédiens formés aux grandes écoles, avant leur sortie publique. On veut les protéger, quand même, et donc les prévenir de la rigueur du métier. On veut qu’ils réussissent autant que les autres, après tout. On les informe de tout ça, de toutes ces difficultés, de tous ces ‘‘trous de carrière’’. Ils ont hâte, ils redoutent, mais ils espèrent surtout qu’ils seront tout de suite parmi les heureux élus. Voilà ce qu’ils voient déjà, en réalité, même conscient de ces « imperfections du métier ». C’est de la visualisation. Ça se fait dans le sport, alors pourquoi pas en art ? Dans les deux cas, le principe et le résultat sont les mêmes : tant d’aspirants pour si peu de débouché, mais ô combien attrayant.

Revoir ce documentaire m’a rappelé tout ça et bien plus. Il m’a fait me rappeler de mon parcours depuis, dans ce métier. Je n’ai pas fait d’école encore, je ne suis pas à la télé non plus, mais je ne suis pas la seule. Et j’aime encore ça, follement. Bien que ce ne soit pas pour les tapis rouges. C’est peut-être pour ça que je n’y défilerai jamais, qui sait ? L’important c’est de ne pas perdre de vue ce que MOI j’aime et non ce que les autres aimeraient voir de moi. Et là-dessus, pour l’instant, j’ai réussi. Même si mon parcours a eu ses moments de doutes.

C’est un dur domaine. Il ne faut pas le prendre personnel si le voisin réussi et pas nous. Ce n’est pas toujours une question de talent et il ne faut pas le prendre personnel… même si on y consacre tout ce qu’il y a de plus personnel. C’est un métier comme un autre, un peu plus sauvage ou un peu trop bien camouflé par son aura médiatique et ses promesses inaccessibles. Il est tout de même possible d’y faire sa place en n’étant pas trop sélectif dans ce qui s’offre à nous. Et ce n’est pas parce qu’on est inconnu du grand public (qui ne reconnait généralement que les visages qu’ils voient à la télé), que l’on n’a pas réussi.

Article de Catherine Cliche du 16 octobre 2012 : https://bouclemagazine.com/wp-content/uploads/2017/11/16/jme-voyais-deja/

Lien du documentaire complet de l’ONF : J’me voyais déjà – Bachir Bensaddek

 

 

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Mélanie Galipeau

Rédactrice, gestionnaire de communauté, entrepreneure et intervenante sociale engagée. Addict du Web et fascinée par le concept de groupe. She's a dreamer. Elle aime les fleurs, les cupcakes et dormir. Quand elle ne dort pas, elle est constamment à la recherche d'instants de zénitude et de bonheur.

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