J’aime Noël presque autant que j’aime les livres. Ce qui n’est pas peu dire, considérant que je pardonne beaucoup de choses à Noël — les pains sandwich et les pyjamas assortis —, mais rien à un mauvais livre. Chaque année, il y a les personnes qui ont réglé leurs cadeaux en novembre avec une liste Excel et des codes couleur… et les autres. Celles qui réalisent, vers le 22 décembre, qu’il en manque encore. Si vous êtes dans cette catégorie (aucun jugement, j’y habite), vous avez heureusement le bon goût de ne pas partir acheter un chandail trop grand « pour être sûr », ni une chandelle qui sent vaguement la vanille et la résignation.
Respirez. La librairie indépendante locale est un guichet unique pour les retardataires de bonne foi : des livres choisis avec soin, qui ont une personnalité — contrairement à ce cadre photo encore vide qu’on offre en se disant que « ça fera l’affaire ». Voici quelques suggestions!
La filière Allô Police : Les vedettes du crime au Québec
Karine Perron, Annie Richard et Jean-Philippe Rousseau, préface de Claude Poirier – Les Éditions de l’Homme
Allô Police, ce n’est pas juste un vieux journal sensationnaliste qu’on apercevait au dépanneur. C’est une pièce bien ancrée de l’histoire médiatique québécoise. Dans ce premier tome, les auteurs replongent dans ses archives pour revenir sur des affaires criminelles qui ont longtemps occupé l’espace public — et les conversations. On y croise Jacques Mesrine, Monica « la Mitraille », Frank Cotroni, Lucien Rivard, « Mom » Boucher — des noms devenus plus grands que les faits divers eux-mêmes.
À travers des textes accessibles et des images d’archives, La filière Allô Police explore cette zone floue entre information, mémoire populaire et curiosité humaine. C’est un cadeau tout désigné pour ceux qui binge-watch du true crime, enchaînent les séries scandinaves sombres et connaissent déjà le nom de tous les tueurs en série (mais jure que c’est « juste par curiosité »). Le genre de livre qu’on ouvre « juste pour voir », et qu’on referme beaucoup trop tard.
Steak, Blé d’Inde, Patates : La savoureuse histoire de la gastronomie québécoise
Priscilla Plamondon Lalancette (Préface de Daniel Vézina) – Les Éditions de l’Homme
L’assiette québécoise a beaucoup changé au fil des décennies, et Steak, Blé d’Inde, Patates raconte cette transformation sans jamais perdre de vue d’où on vient. À travers des moments clés de notre histoire culinaire — de l’héritage autochtone à l’Expo 67, du micro-ondes aux chefs vedettes — le livre revisite ce qui a façonné notre façon de manger. On y retrouve les plats cultes et les souvenirs qui y collent : pets-de-sœurs, cipaille (cipâte, sea pie, appelez-le comme vous voulez), spaghetti, cabane à sucre, épluchettes. Une mémoire collective qui se mange autant qu’elle se raconte.
C’est un livre réconfortant et généreux, qui donne envie d’appeler sa mère pour lui demander comment elle faisait sa sauce à spaghetti, ou si elle mettait du sirop d’érable dans son pouding chômeur. Pas parce que c’est urgent, mais simplement parce que ce livre a réveillé quelque chose. Un très beau cadeau pour quelqu’un qui aime manger, cuisiner, ou se souvenir — bref, pour quelqu’un qui sait que la bouffe, au Québec, c’est rarement juste de la bouffe.
La Bête à sa mère – Le roman graphique
Boris Dolivet et Laurent Pinabel, d’après le roman de David Goudreault – Stanké
Adapté du roman de David Goudreault, La Bête à sa mère conserve toute la charge brute du texte original. C’est cru et frontal, parfois franchement inconfortable. On y explore une relation mère-fils sans filtre ni complaisance : la colère, la honte, l’amour mêlé à la violence, la filiation qui fait mal plutôt que rassurer. Le dessin accompagne le propos et le rend encore plus viscéral, permettant une lecture plus physique, presque instinctive.
C’est un livre qui ne cherche pas à ménager son lecteur et le laisse face à ses propres inconforts. À offrir à quelqu’un qui aime être bousculé, qui apprécie l’humour noir et les récits qui grattent là où ça fait mal.
La Maison d’en face
Christiane Duchesne – Québec Amérique
Juste en face de chez les jumeaux, là où le fleuve est large comme la mer, se trouve une maison inhabitée depuis des années. Un jour, monsieur Albert y revient. Il est muet. À Marie et à son frère, il offre pourtant un cadeau inestimable : sa mémoire. À travers des carnets, des lettres et des listes, les enfants se lancent dans une véritable chasse aux souvenirs. Peu à peu, ces fragments deviennent des clés pour comprendre le monde qui les entoure — la nature, la musique, les gens de leur minuscule village côtier.
Christiane Duchesne excelle dans l’art de dire beaucoup avec peu. La maison d’en face est un roman délicat, lumineux, qui parle de transmission et d’émerveillement sans jamais appuyer trop fort. À offrir à quelqu’un qui aime les histoires fines, sensibles, et qui sait apprécier le silence entre les phrases.
Chante l’oiseau, chante
Benoît Archambault, illustré par Marie-Ève Turgeon – Éditions MultiMondes
À travers le regard d’un jeune garçon, cet album aborde avec douceur des thèmes forts : la maladie d’Alzheimer, les liens familiaux, la découverte de soi et la force rassembleuse de la musique. C’est un livre empreint de délicatesse, qui parle de transmission, de mémoire et d’amour sans jamais appuyer trop fort. La musique y devient un fil conducteur, un espace de rencontre entre les générations, un langage quand les mots commencent à manquer.
Impossible de ne pas penser, en filigrane, au documentaire J’ai souvenir encore de France Beaudoin, qui a récemment remis ces questions au cœur de l’actualité — et dans beaucoup de salons. Parfait pour les enfants sensibles — et pour les adultes qui les accompagnent.
Le chien ne meurt pas à la fin
Joël Martel – La Mèche
Le titre est déjà une promesse, et pour certaines personnes, c’est suffisant pour dire oui. Dans ce roman, Joël Martel revisite sa vie à travers les animaux qui l’ont accompagné : chiens trop intenses, chats en série, poisson rouge étonnamment marquant, cochon d’Inde laissé derrière… et surtout Billy, le chien fou. Ici, la mémoire avance par petites bêtes, par présences et par absences.
On retrouve tout ce qui fait la singularité de Martel : son humour absurde, son autodérision et sa capacité à faire cohabiter le très drôle et le très touchant. Les scènes cocasses alternent avec des moments plus fragiles, notamment ceux liés à son père, Jici, et à ses perles de sagesse parfois un peu enfumées, souvent étonnamment justes. C’est un livre tendre sans être quétaine, drôle sans être léger. Un excellent cadeau pour quelqu’un qui aime rire, être ému, et qui préfère les histoires humaines racontées de biais — avec un chien, idéalement, qui survit jusqu’à la fin.
Au fond, offrir un livre, c’est surtout faire confiance. À une histoire, à un auteur, à un libraire. Le reste appartient à celui ou celle qui l’ouvrira.
