Le 14 novembre dernier, je me suis rendue au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui afin d’assister à la pièce Le vieux monde derrière nous, une pièce adaptée du roman d’Olivier Kemeid mise en scène par Denis Marleau et jouer par un seul et talentueux acteur, Mani Soleymanlou. Une pièce qui retrace le voyage en Europe du père de Kemeid à la fin des années 60.
Une histoire de famille, du matériel intéressant
Ce spectacle est l’un des projets du metteur en scène de plus en plus fréquents qui s’appuient sur un livre. L’ouvrage, qui porte le même titre, a été publié en France et au Québec et repose lui-même sur des faits réels. En reprenant la maison familiale et en faisant du ménage, Olivier Kemeid tombe sur une centaine de cartes postales écrites par son père à l’intention de sa mère, rencontrée quelques mois avant son périple. Ces cartes lui permettent de retracer la route du voyage initiatique de son père, Québéco-égyptien, et le livre montre ce double parcours, à la fois géographique et intime, du père et du fils. L’idée d’une adaptation théâtrale apparaît très rapidement, dès que Denis Marleau termine la lecture du roman.
La pièce raconte le voyage de Gil Kemeid, parti un été en Vespa et traversant plusieurs pays, dont certains sous dictature. Il devient témoin des grandes manifestations de mai 68 en France et observe un monde en transformation. Le matériel auquel avait accès Olivier Kemeid se limite à ces cartes postales : on découvre donc un jeune Gil assez tranché et expéditif, qui donne son opinion sur la météo, la beauté des lieux, les gens rencontrés et les tensions politiques dont il est témoin. Ces fragments composent un portrait vif, parfois abrupt, d’un jeune homme en plein élan.

La pièce laisse aussi place à un dialogue entre le père et le fils qui se dessine doucement en arrière-plan. Ce n’est pas un dialogue pour combler l’absence, mais plutôt une manière de revisiter un lien réel à partir d’une matière retrouvée. On sent le fils chercher à comprendre non pas un inconnu, mais un homme qu’il a connu, tout en accédant à une version de lui plus jeune, plus spontanée, plus opaque aussi. J’aurais peut-être aimé que cet échange prenne davantage de place, car c’est là que se trouve, à mon sens, une des forces du projet : la façon dont la scène permet de réactiver la mémoire familiale, de faire dialoguer différents âges d’un même homme et d’ouvrir un espace où ce qui a été vécu peut être regardé autrement.
Du livre à la scène
D’une durée de 1 h 40, la pièce suit un parcours assez classique et linéaire : on part en voyage avec les Kemeid. Par moments, le rythme devenait peut-être un peu long, un peu lourd aussi, puisque de nombreux enjeux politiques sont exposés sur scène. Heureusement, le grand écran où apparaît le jeune Gil (également interprété par Soleymanlou, cette fois avec perruque et sans barbe) venait alléger l’ensemble et créer une respiration bienvenue. Le comédien sur scène incarne le fils, avec un regard extérieur, et met en contexte les cartes postales que la version filmée du père lit en voix et en images. Le dialogue entre l’écran et la scène est réellement intéressant, mais comme souvent dans les pièces qui utilisent la vidéo, je me suis surprise à regarder un peu trop l’écran, au détriment de l’acteur physiquement présent.

Sur scène, on retrouve un très long bureau, plusieurs lampes et quelques chaises. Le bureau déborde de documents d’archives, de cartes postales, de coupures de journaux. Une caméra capte ces éléments en direct et projette tantôt ces images, tantôt des extraits du voyage sur le grand écran. Cette mise en scène, très cadrée, crée un univers de fouille et de mémoire, mais j’ai trouvé qu’elle offrait finalement peu de liberté à Soleymanlou et ne le mettait pas toujours suffisamment de l’avant. Malgré cela, je suis restée entièrement impressionnée par sa performance. Un solo demeure un défi en soi, et le texte n’était pas particulièrement simple. Au final, Mani Soleymanlou parvient très bien à jouer le fils tout comme le père, avec un jeu réaliste, nuancé et vraiment convaincant.
Bref, c’est une pièce bien ficelée, dans laquelle on sent pleinement tout le travail en amont. La proposition est maîtrisée et généreuse, et on voit que chaque choix a été réfléchi. Elle est présentée jusqu’au 6 décembre à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Pour les billets, c’est par ici.
Crédit photo de couverture : Valérie Remise