Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, le Boss en toute vulnérabilité

Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, le Boss en toute vulnérabilité

Alors que l’an dernier, nous avons eu droit au concluant Un parfait inconnu (V. O. A Complete Unknown), biopic signé James Mangold consacré à Bob Dylan, cette fois, c’est au tour de Bruce Springsteen de voir sa vie au grand écran. Une vingtaine d’albums studio et d’innombrables spectacles dans le monde, à travers plus de cinq décennies de musique, c’est néanmoins à la conception du notable Nebraska que Scott Cooper a choisi de s’intéresser. La tâche n’était pas facile. Faire honneur à l’album le plus marquant et le plus personnel dans le parcours du « Boss » était aussi laborieux que vertigineux et pouvait facilement bifurquer. Or, avec Springsteen : Délivrez-moi de nulle part (V. O. Springsteen: Deliver Me from Nowhere), le réalisateur réussit son mandat en nous offrant un long métrage à la fois captivant et touchant, faisant place à un processus créatif empreint de fragilité.

Des années charnières

Bruce Springsteen a marqué plus d’une génération. S’il a refusé un film biographique pendant des années, c’est toutefois le scénario de Scott Cooper qui l’a convaincu de porter une partie de sa vie à l’écran. Plutôt que de couvrir l’entièreté de son étoffée carrière, le réalisateur a mis l’accent sur une période aussi trouble qu’importante dans la vie de l’artiste : l’écriture de l’album Nebraska, paru en 1982. Inspiré du livre Deliver Me from Nowhere: The Making of Bruce Springsteens’ Nebraska de Warren Zanes (2023), le film s’amorce ainsi à la fin de la tournée de support de l’album The River (1980), avec un Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) qui, aux côtés de son groupe, semble en plein contrôle.

Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, le Boss en toute vulnérabilité
Jeremy Allen White (Bruce Springsteen) © 2025 20th Century Studios

De retour au New Jersey où il a grandi pour y écrire son prochain album, le musicien se retrouve cependant rapidement face à ses traumas. Les promenades dans ces lieux chargés de souvenirs, appuyés à plusieurs moments par des séquences flashback en noir et blanc, font remonter les douloureuses blessures d’une enfance perturbée par la violence et l’alcoolisme de son père (Stephen Graham). De sa maison louée à Colt Necks, Springsteen enchaîne les séances d’écriture portées par les fantômes de son passé, parfois éveillés par des moments furtifs, comme lorsqu’il tombe par hasard sur le film Badlands de Terrence Malick diffusé à la télé, qui inspirera la pièce titre Nebraska.

Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, le Boss en toute vulnérabilité
Jeremy Allen White (Bruce Springsteen), crédit : 2025 20th Century Studios

Entre les moments d’introspection où il se retrouve face à lui-même, la rencontre amoureuse de Faye Romano (Odessa Young) — personnage fictif inspiré de plusieurs fréquentations de l’artiste —, les ballades dans Asbury Park et les apparitions fortuites sur la mythique scène du Stone Poney avec son E Street Band, le musicien fait appel à son technicien guitare Mike Batlan (Paul Walter Hauser) pour installer dans sa chambre un magnétophone à quatre pistes afin d’y enregistrer les démos de ce futur long-jeu. La voix rauque de Springsteen, une guitare acoustique, un harmonica et un xylophone, il n’en faut pas plus pour donner vie à ces nouvelles chansons — les plus intimes jamais écrites. Un processus qui d’ailleurs, est des plus intéressants à découvrir.

Tour de force

S’il nous transporte dans les moments de vulnérabilité de l’artiste, Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, témoigne aussi de la grande complicité de celui-ci avec son agent et ami de longue date Jon Landau (l’impeccable Jeremy Strong). Avec sa confiance inébranlable en Springsteen, Landau se fait un devoir de respecter l’instinct et le désir artistique de celui-ci, même si la pression extérieure de l’industrie est forte. Ce qui devait être un album électrique devient alors un enregistrement folk avec un résultat brut, sans artifice. Cette impulsion viscérale, qu’elle soit musicale ou émotive, est également rendue efficacement à l’écran grâce au jeu de Jeremy Allen White, saisissant à plusieurs reprises.

Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, le Boss en toute vulnérabilité
Jeremy Allen White (Bruce Springsteen) et Jeremy Strong (Jon Landau) © 2025 20th Century Studios

Des prouesses vocales lors des versions électriques — dont la notable Born in the U.S.A. — jusqu’à celles acoustiques, délicatement interprétées, l’acteur réussit à livrer chacune des pièces avec brio. Présent sur le plateau lors de la plupart des journées de tournage, Bruce Springsteen raconte d’ailleurs que lui-même, n’arrivait parfois pas à distinguer les versions originales de certaines chansons à celles reprises par Allen White. Parti de zéro, ce dernier a ainsi appris la guitare et l’harmonica, en plus de faire appel au coach vocal Eric Vetro — qui avait notamment aidé Timothée Chalamet avec son rôle de Dylan — pour développer ses habiletés au chant. Un résultat impressionnant, qui s’ajoute à l’interprétation vibrante de l’acteur.

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Jeremy Allen White (Bruce Springsteen) et Jeremy Strong (Jon Landau). Crédit : Macall Polay © 2025 20th Century Studios

Témoin de cette dualité constante entre le succès et les épisodes de dépression, avec sa forte distribution et sa réalisation soignée, Springsteen : Délivrez-moi de nulle part arrive habilement à mettre en lumière cette période marquante dans la carrière de Bruce Springsteen, où la musique et son entourage lui ont donné l’élan nécessaire pour réparer les conflits intérieurs. Que vous soyez fan de l’artiste ou que vous ne connaissiez pas la musique de celui-ci, le film arrivera sans aucun doute à vous toucher.

Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, en salle dès ce vendredi 24 octobre.

Springsteen : Délivrez-moi de nulle part, le Boss en toute vulnérabilité

Photo de couverture : © 2025 20th Century Studios

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Karine Gagné

Rédactrice en chef adjointe et cheffe de section culture pour Boucle Magazine, Karine évolue dans le domaine culturel à divers titre. À travers ses articles, elle met de l’avant une ligne éditoriale axée sur la scène locale et la découverte.

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