Mommy, le retour : une satire drôlement actuelle

Le 25 septembre dernier, j’ai eu le grand bonheur d’assister à la première médiatique de Mommy, marquant le retour d’Olivier Choinière au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Fidèle à sa réputation, Choinière signe une œuvre audacieuse et percutante qui dénonce, avec une jubilation mordante, la montée de l’extrême droite et la nostalgie réactionnaire d’un passé idéalisé. En mêlant habilement le conte, le rap et le lip sync sur des extraits audio soigneusement choisis, Mommy crée un univers théâtral hybride, à la fois ludique et grinçant. Le résultat est une expérience jubilatoire et troublante : une pièce qui divertit tout en forçant à réfléchir sur les dérives politiques et sociales de notre époque.

Jouer avec les codes du théâtre

En entrant dans la salle Michelle-Rossignol, le regard est immédiatement happé par l’immense autel dressé sur scène, surmonté d’une croix portant l’inscription Mommy — un clin d’œil on ne peut plus explicite à la religion et au culte. En contrepoint, résonne une trame sonore de rap, qui installe d’emblée un décalage ironique et percutant. À la console, perchée en hauteur, la DJ et comédienne Sarah Laurendeau manipule le son, crée des effets et agit en quelque sorte comme la cheffe d’orchestre de ce rituel théâtral.

Puis surgissent deux personnages aux allures de conte : une Fée Clochette et son acolyte. Ils nous livrent quelques avertissements dans un grand livre fabriqué à la main, brisant d’entrée de jeu le quatrième mur. La Fée Clochette nous indique ensuite que le voyage se déroulera dans un CHSLD (à l’aide d’un bout de carton sur lequel CHSLD est inscrit en feutre, on nous a bien avertis qu’il n’y aurait pas de projection vidéo, faute de budget) où nous attend Mommy, une vieille femme ressuscitée. Son pouvoir? Transformer tous ceux qu’elle croise en zombies, pour mieux les enrôler dans sa croisade nostalgique visant à restaurer le soi-disant « bon vieux temps ».

Les chansons et les raps, créés en collaboration avec Eman, ponctuent la pièce et lui donnent un rythme entraînant, presque incantatoire. Ils s’entremêlent à des scènes chorégraphiées flirtant avec l’horreur, à des moments de danse et à des séquences de lip sync sur des discours tirés de l’espace public. Les performeurs, affublés de masques représentant nos politiciens, offrent alors un carnaval grotesque où ces figures publiques se retrouvent, pour le meilleur et pour le pire, exposées sous un nouveau jour, sur la scène d’un théâtre.

Une distribution excellente

Crédit photo : Yanick Macdonald

Sarah Laurendeau porte plusieurs chapeaux dans cette production : à la fois messie et voix de Dieu, elle dirige également la bande de zombies par la musique, tout en s’invitant dans le rap à certains moments. Une artiste polyvalente, d’une justesse remarquable, qui brille par son aisance et son énergie sur scène.

Édith Paquet et Félix Beaulieu-Duchesneau jouent quant à eux un rôle essentiel, presque celui de narrateurs de ce conte d’horreur. S’ils lip synchent la majorité du temps sur des extraits audio, ils livrent aussi quelques répliques. Leur présence scénique, cependant, dépasse largement les mots : ce sont leurs corps, leurs postures et leurs expressions faciales qui portent le récit. Présents du début à la fin, ils habitent l’espace avec une intensité qui capte constamment notre attention.

On découvre aussi deux disciples de Mommy, transformés malgré eux en zombies, qui prennent une part importante dans le rap aux côtés de Mommy. Ils deviennent les vecteurs d’un message à la fois politique et poétique. Lyndz Dantiste, que je voyais au théâtre pour la première fois, impressionne par son aisance : son flow est impeccable, sa performance d’une justesse désarmante. Zoé Tremblay-Bianco, pour sa part, livre une prestation tout aussi éclatante. Sa présence est magnétique, et son engagement total rend chaque intervention marquante.

Enfin, le rôle de Mommy revient à Gabriel Lemire, et le choix est absolument judicieux. Dans la peau de cette vieille dame, il se transforme littéralement. Sa voix modulée, sa gestuelle, son charisme sur scène nous transportent dans un univers parallèle où l’on croit pleinement à ce personnage démesuré. Son rap, en plus, est entraînant et habité. Un acteur d’une versatilité impressionnante, qui parvient à être à la fois drôle, inquiétant et fascinant.

Crédit photo : Yanick Macdonald

Bref, la distribution est d’une solidité exceptionnelle et porte avec brio cette pièce dérangeante mais nécessaire d’Olivier Choinière. Ce n’est peut-être pas une œuvre qui plaira à tout le monde, mais pour celles et ceux qui aiment être bousculé.e.s, rire tout en réfléchissant, et voir un théâtre engagé qui ne recule pas devant l’audace, je ne saurais assez la recommander.

Mommy, le retour est présentée à la salle Michelle-Rossignol jusqu’au 18 octobre prochain. Pour des billets, c’est par ici!

Crédit photo de couverture : Yanick Macdonald

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Catherine Fournier

Étudiante à la maîtrise en théâtre, Catherine est une passionnée de tout ce qui touche à la culture. Son passe-temps préféré? Lire dans son lit, une bougie allumée pendant que son chat Clémentine dort à côté.

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