Entrevue : Félix Dyotte, 10 ans après

Entrevue : Félix Dyotte, 10 ans après, Boucle Magazine

« J’aime les gens nostalgiques, mais je pense que je n’ai pas cette fibre-là en moi » lance d’emblée Félix Dyotte, qui, il y a dix ans, décidait de faire le saut en solo après son aventure au sein du groupe Chinatown. Un plongeon libérateur qui lui aura permis de laisser libre cours à sa créativité, toujours aussi foisonnante une décennie plus tard. Alors qu’il préfère contempler la nostalgie chez les autres plutôt que de s’y perdre, l’auteur-compositeur-interprète nous parle de ce premier album émancipateur, tout en portant un regard vers l’avenir.

En solo, mais bien entouré

Souligner les petits moments comme les grands sentiments, c’est ce qui guide l’élan créatif de Félix Dyotte depuis ce long-jeu homonyme paru le 4 mai 2015. Près de trois ans après la fin de Chinatown, Dyotte décide de se lancer vers ce qu’il aime appeler son « premier effort d’autonomie ». Treize chansons écrites depuis longtemps — excluant certaines, dont Ma vie au lit, composée à la dernière minute —, ayant permis au public de découvrir une prose aiguisée et un sens des mélodies soigné, qui encore aujourd’hui, résonne dans chacune de ses nouvelles propositions. « C’était vraiment un gros bateau à naviguer Chinatown. De me lancer en solo, ça représentait beaucoup pour moi et c’était un soulagement. À l’époque, j’étais presque le Paul McCartney du groupe, dans le sens où j’organisai plusieurs choses et c’était beaucoup d’efforts pour que tous se sentent bien. Faire un album à moi seul était donc plus facile » raconte-t-il dans un café de Rosemont, quelques jours avant de célébrer le 10e anniversaire de ce premier effort au café-disquaire 180g.

Pour l’accompagner dans ce périple en solo, des ami.e.s et collaborateur.rice.s de longue date, dont Philippe Brault, Francis Mineau, Amélie Mandeville et Denis Faucher, avec qui il a partagé la scène pendant près de 80 concerts lors de la tournée Punkt de Pierre Lapointe. Entre les studios Breakglass, Pierre Marchand et (feu) Victor, c’est néanmoins dans son studio maison qu’il trouve son aise pour enregistrer les voix et guitares. « C’est d’ailleurs quelque chose que je fais encore » souligne-t-il. « J’ai souvent essayé d’enregistrer mes voix dans un autre studio, mais à chaque fois, je les jette aux poubelles! Je pense qu’il y a quelque chose que j’aime dans cette intimité. » Une intimité qui se ressent jusque dans l’écoute, et ce, dès les premiers accords de Téléphone, qui introduit en douceur son univers lyrique.

À cela s’ajoutent les voix de Kandle (Petit regret), ainsi que d’Aseman Sabet (Avalanches), amie et commissaire d’expositions qui s’est retrouvée sur l’album à l’improviste. « À l’époque, elle m’aidait pour une demande de bourse au Conseil des arts et je lui avais demandé si elle savait chanter. Elle a été partante pour essayer et je trouvais tellement qu’elle avait une belle voix que j’ai décidé de la laisser sur l’album. D’ailleurs, quand on a enregistré, elle pensait que ce serait seulement pour la demande de bourse. Ça a été sa seule et unique expérience de chant, elle n’a jamais voulu la rechanter en spectacle avec moi malgré mes invitations! »

Créer en continu

Difficile de réécouter son premier disque? Pour lui, sans équivoque. « J’ai beaucoup de difficulté à le réécouter. Je trouve que ma façon de chanter a changé et on dirait qu’avant, mes paroles étaient plus compliquées. C’était vraiment verbomoteur comme album » dit-il, tout juste avant de faire une mention spéciale à la pièce Tes souvenirs, redécouverte il y a peu de temps. « C’est quand même drôle de réinterpréter ces chansons-là, c’est comme chanter un vieux cover! (Rires) J’ai l’impression qu’elles ne m’appartiennent plus beaucoup, comparé à de nouvelles pièces qui me donne plutôt l’impression de proposer où je suis rendu. En réécoutant cet album, je me souviens quelles étaient mes préoccupations à cette époque et plusieurs de celles-ci sont réglées. Peut-être qu’au fond, ces chansons m’ont aidé à exorciser mes inquiétudes. »

Si l’écriture est une forme d’exutoire, même dix ans plus tard, elle demeure tout autant centrale dans le processus créatif de Dyotte. « Au début, lorsqu’on écrit, c’est vraiment plus difficile puisque qu’on a moins de repères et qu’on est moins certain de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. C’est pour cette raison que je trouve plus facile d’écrire des chansons aujourd’hui et ça m’obsède tout autant, même que j’en écris bien trop maintenant! (Rires) ». La poésie derrière ce premier disque lui aura d’ailleurs permis de remporter le prix auteur-compositeur de l’année au GAMIQ 2015, où il était également nommé dans les catégories album pop et révélation de l’année. « C’était vraiment le fun de gagner ça. Je n’ai jamais été tellement proche des concours, alors je me souviens que j’étais vraiment excité » souligne-t-il.

Alors que la méthode s’est peaufinée avec les années, l’essence artistique est restée la même, de la composition jusqu’à la création des visuels, toute aussi importante. La preuve, la pochette de l’album et ses calligrammes à l’inspiration Typewriter Art réalisée avec l’aide de Jeanne Joly au graphisme ainsi qu’aux dessins, qui a même fait l’objet d’un zine de 44 pages (Annexes) lancé au même moment. « C’est vraiment toute une histoire! Je me demandais ce que je pouvais faire pour le visuel des paroles de l’album et comme j’ai toujours aimé écrire à la dactylo, je me suis dit que ça pourrait être intéressant que ce soit fait de cette manière, en formant des dessins. Pour que la retranscription du texte des chansons fasse une forme parfaite, j’ai fait appel à mon ami mathématicien Guillaume Roy-Fortin. Je lui ai envoyé mes textes avec le nombre de caractères, et il m’a envoyé la formule détaillant combien en mettre sur chaque ligne pour avoir le résultat escompté. Chaque chanson a donc sa formule. »

Au fil du temps

Avec ses textes et ses arrangements, cette première offrande solo s’imbrique logiquement dans le parcours de l’artiste, qui ne le considère toutefois pas comme le plus important de sa discographie, à laquelle s’est ajouté le récent et quatrième Aérosol en 2024. « Il y a vraiment une suite logique pour moi entre ce premier album et le deuxième [Politesses]. Par contre, je ne le vois pas comme un disque fondateur, mais plutôt comme un parmi d’autres. Quelques fois, je ne me souviens même pas si une chanson vient de cet album ou de l’autre. Le son est différent, mais quand je pense à l’abstraction de la composition, ça peut m’arriver de me dire que certaines chansons auraient aussi pu être sur ce deuxième album, comme Ma vie au lit, qui fait presque le pont entre les deux. »

Depuis ces premières propositions, les temps ont changé, et notre manière de consommer de la musique aussi. Fort de son expérience solo, mais également de ses collaborations avec plusieurs artistes (Evelyne Brochu, Pierre Lapointe, Jean Leloup, Salomé Leclerc et bien d’autres), l’auteur-compositeur-interprète et réalisateur fait quelques constats. « Je trouve que l’industrie est tout le temps en arrière. Par exemple, même encore aujourd’hui au Québec, si tu souhaites obtenir des bourses, c’est beaucoup plus facile de faire un album complet parce qu’il y a des règles à suivre, et elles sont parfois restrictives par rapport à ce qu’on voudrait faire. Puisqu’il n’y a presque plus de support physique à la musique, pourquoi on n’en profiterait pas pour sortir du cadre? On peut le faire, oui, mais je trouve qu’il faut toujours un peu convaincre l’industrie que c’est une bonne idée. Ça fait partie des défis actuels. Heureusement, je suis maintenant assez vieux pour relever ceux-ci, mais en 2015, je ne suis pas certain que j’aurai été capable. »

Chose certaine, il entrevoit encore l’avenir positivement. « Je ne me vois pas arrêter. Peut-être qu’il y a dix ans, je n’aurais pas dit la même chose, mais on est dans une époque où l’art est malgré tout plus optimiste qu’avant. Je viens de l’air du grunge où c’était beaucoup plus sombre. On pensait qu’il fallait être torturé pour faire de la musique, mais aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on tend a regarder vers le soleil et à créer dans le plaisir. »

Entre la composition de son prochain album, les collaborations et la réalisation pour quelques artistes, Félix Dyotte se tient bien occupé. En attendant du nouveau matériel, il est toujours possible de se procurer son album homonyme, ainsi que les suivants, en format numérique sur toutes les plateformes d’écoute, ainsi qu’en format physique par ici. Pour les curieux.ses le zine Annexes y est également toujours disponible. 

Félix Dyotte, 2015

Crédit photo de couverture : Naomi Mercier

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Karine Gagné

Rédactrice en chef adjointe et cheffe de section culture pour Boucle Magazine, Karine évolue dans le domaine culturel à divers titre. À travers ses articles, elle met de l’avant une ligne éditoriale axée sur la scène locale et la découverte.

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