Mercredi dernier, j’ai assisté à la première de Chronologies au Centre du théâtre d’Aujourd’hui. Un texte de Stephie Mazunya mis en scène par Stéphanie Jasmin. Un récit touchant et criant.
Échos et mémoire
Dans Chronologies, trois récits de femmes marqués par l’exil et le besoin de dire se déploient en parallèle, sans jamais se croiser directement. Chacune raconte son histoire de manière autonome, mais les résonances entre leurs voix tissent une trame commune, faite de silences, de pertes et de souvenirs entremêlés. Il y a d’abord Muco, interprétée par l’autrice elle-même, Stephie Mazunya. Née d’une mère burundaise et ayant grandi au Québec, elle retourne pour la première fois dans son pays d’origine afin d’y enterrer sa mère. Ensuite, Antoinette, incarnée par Parfaite Moussouanga, est une diplomate burundaise qui s’est réfugiée dans son travail pour échapper à l’horreur. Enfin, projetée sur l’un des écrans, apparaît Kaneza, quatorze ans, la fille d’Antoinette, envoyée au Canada par sa mère pour rejoindre ses grandes sœurs.

Sans se parler, les trois femmes livrent des récits aussi poignants que prenants. À travers leurs paroles, se dessine une réflexion sur la manière dont l’humain réagit face à l’atrocité de la guerre. Leurs trajectoires se rapprochent et s’éloignent, naviguant entre fiction et réalité, tissant un tissu narratif à la fois fragmenté et profondément lié. Le moment le plus bouleversant survient à la fin, lorsque tout fait sens. L’autrice abandonne alors le cadre de la fiction pour s’adresser directement à sa mère, personnage inspiré très librement de la sienne. Elle lui parle en kirundi, sa langue maternelle, dans une séquence surtitrée en français. C’est un moment de vérité d’une grande douceur, où l’émotion affleure sans artifice. Une conclusion saisissante, empreinte de délicatesse et de justesse, qui touche au cœur.
Projection et compartiments
Le jeu des deux comédiennes est solide, oscillant avec justesse entre des moments d’une grande sobriété et d’autres chargés d’émotion. Parfaite Moussouanga, qui a remplacé Isabelle Kabano au pied levé en raison de problèmes de santé, livre une performance particulièrement remarquable compte tenu du peu de temps dont elle a disposé pour s’approprier le rôle. Son interprétation, nuancée et habitée, témoigne d’une belle sensibilité.
La mise en scène, qui place chacune des deux actrices dans une boîte scénique distincte, crée un effet de séparation visuelle parfois un peu rigide. Ce dispositif, bien qu’il puisse engendrer une certaine monotonie dans le rythme, souligne efficacement l’isolement de ces deux personnages et rend d’autant plus frappante leur forme de rapprochement final.


Au-dessus des deux boîtes, deux immenses écrans diffusent des images tournées au Burundi, ainsi que les monologues de Kaneza. Ces séquences visuelles sont esthétiquement très réussies et participent à ancrer la pièce dans un univers sensible, riche en atmosphères. Elles apportent une respiration poétique et un contrepoint au dispositif scénique plus fermé. En revanche, l’un des écrans projette également une captation en direct d’Antoinette pendant qu’elle parle, et cet ajout m’a laissé perplexe. Non seulement la pertinence de ce choix m’échappe, mais le léger décalage entre l’image et la voix, sans être dramatique, m’a semblé suffisamment gênant pour perturber la concentration.
Cela dit, malgré ces quelques réserves, j’ai passé un bon moment. La pièce propose une expérience théâtrale forte et sensible, portée par des performances authentiques et une proposition scénique qui, même avec ses faiblesses, parvient à créer de véritables instants de grâce.
Chronologies est présentée dans la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 mai. Pour des billets, c’est par ici.
Crédit photo de couverture : Valérie Remise