La scène musicale a bien évolué depuis les années 2000 et We Are Wolves en sait quelque chose. Même si les temps ont changé, ce qui est certain, c’est qu’après plus de vingt ans à performer sur les scènes du Québec et de l’international, la formation montréalaise n’a rien perdu de sa fougue. « Attention – Le monde est en ruine – Tout est en feu » s’exclament Alexander Ortiz et Vincent Levesque sur Attention, deuxième pièce de leur plus récent NADA, paru le 8 novembre dernier sous Simone Records. Tout est feu, mais l’espoir est toujours là et les musiciens nous le prouvent adroitement à travers les guitares pesantes et les rythmes dansants qui s’entrecroisent tout au long de ce nouvel opus, qui sera par ailleurs le dernier du groupe. Un dernier album, mais pas la fin de We Are Wolves précise-t-on.
Jonglant une fois de plus entre le français, l’anglais et l’espagnol, NADA, qui arrive cinq ans après le mini-album La main de Dieu (2019), a été soigneusement confectionné par les deux acolytes au cours des dernières années entre Montréal, New-York et le Mexique. Des enjeux sociaux, en passant par la surcharge d’informations, jusqu’au métro Namur — pièce qui d’ailleurs, était à l’origine inspirée de poèmes d’Henri Michaux — We Are Wolves s’affaire à rétablir l’ordre à coup de riffs entêtants, teintés de synth rock, de post punk et de cumbia. Tout juste avant la sortie de l’album, Alexander et Vincent — ce dernier maintenant également à la guitare — nous parlent de la création de cette sixième proposition.
Boucle Magazine : Vous avez annoncez que ce nouvel album serait votre dernier, mais que ce ne serait pas nécessairement la fin pour We Are Wolves. Pourquoi ce format ne vous intéresse plus?
Vincent : Selon moi, il y a plein de raisons, mais c’est comme si l’industrie imposait un format hyper daté, qui n’est plus consommé par beaucoup de personnes. Parallèlement, c’est une des seules façons dont il est possible d’avoir du financement pour sa musique. Comme si c’était la seule chose légitime qui était considérée, tandis que 90 % du contenu d’un album passe souvent inaperçu parce que personne n’a les moyens de promouvoir chaque chanson. Je trouve vraiment qu’il y a un problème à ce niveau à régler et on veut s’affranchir de ça.
Alexander : De cette manière, on peut aussi se permettre d’explorer d’autres sortes de musique, de faire des pièces instrumentales sous un autre nom par exemple et de travailler autrement, sans qu’il y ait l’espèce de pression de faire un album. Les gens connaissent généralement le single qui a été promu, mais souvent, le reste est oublié, alors ce format est un peu dépassé.
B.M. : Sachant que cet album serait peut-être votre dernier, est-ce que vous vous êtes permis d’explorer davantage pendant la composition?
Vincent : On s’est permis énormément de choses, je dirais même qu’on s’est tout permis ce dont on avait envie, parce qu’on avait aussi le désir de respecter l’essence du groupe. À travers tout ça, on essaie de se questionner sur ce qu’est We Are Wolves selon nous. Pour cet album, on a vraiment ouvert les valves sur la musique latine par exemple.
B.M. : Il y d’ailleurs cette liberté et ce plaisir de faire de la musique qu’on retrouve à travers vos albums depuis vos débuts. J’imagine que c’est assez important de conserver cet aspect?
Alexander : Il ne faut pas l’oublier le fun! Je vois bien des musiciens qui ont une solide carrière, mais parfois, on sent qu’ils continuent à faire de la musique parce qu’ils n’ont pas d’autres choix et ils leur manquent le plaisir. Même si cet album-là est sombre dans certains passages et qu’il a été compliqué et laborieux à faire, on a eu du fun à le faire et on a toujours essayé de pousser ça le plus possible.
B.M. : Qu’est- ce qui a été le plus compliqué à réaliser dans cet album?
Alexander : On avait plusieurs horaires à gérer comme nous n’étions pas en studio. Parfois, lorsqu’on se rencontrait, on ne savait pas trop où ça allait nous mener et au final, cette surprise-là était magique! Ce qui a été difficile aussi, c’est qu’autant cette liberté-là nous a permis de faire un album qui nous rejoint et nous a permis d’explorer, autant elle a pu nous nuire, parce qu’on était face à trop de possibilités. Ça prend de la discipline et de la volonté.
Vincent : On s’envoyait aussi des sessions par Internet, comme ça, on pouvait avancer et trouver des idées chacun de notre côté sans être constamment dans le même lieu. Ça prend vraiment beaucoup de focus pour rester on track! Il faut garder les traces des fichiers aussi et ça, on n’en parle pas souvent du côté technique. On se retrouve avec énormément de versions différentes de pièces à travers lesquelles il faut faire des choix.
B.M. : Parallèlement, depuis le EP La main de Dieu, vous avez également travaillé sur plusieurs projets séparément, par exemple Alexander avec Rip Pop Mutant ou Physical Congas aux côtés d’Adrian Popovich, qui a aussi collaboré au mix pour cet album. Est-ce que ça a permis une approche différente pour We Are Wolves?
Alexander : Rip Pop Mutant m’a permis d’avancer d’une autre façon. Entre autres travailler sur mes textes et être plus à l’aise à chanter en français. Je pense que toutes ces années-là où on ne faisait rien, conceptuellement, on travaillait sur ce qu’est We Are Wolves maintenant. Je ne pense pas que les chansons qu’on a fait aujourd’hui auraient pu exister il y a trois ans. Vincent a aussi travaillé énormément de son côté avec une autre approche musicale, plus pop [notamment avec la réalisation des projets de Paupière et Bronswick], donc les deux, on a construit tranquillement l’idée de cet album.
B.M. : Une phrase qui revient à propos de ce nouvel album est entre autres de « rétablir l’ordre à partir du chaos ». On parle d’un gros défi ici! Comment on arrive à faire ça et à retrouver un peu de lumière?
Alexander : Déjà, en être conscient, constater et ouvrir la communication à la place de s’acharner et de s’apitoyer. Il faut se dire que même si c’est dure pour tout le monde, on va essayer d’avancer ensemble malgré tout.
B.M. : À travers les textes, on laisse aussi beaucoup place à la musique. Je pense entre autres à Goélands, qui est une pièce instrumentale. Est-ce qu’il y avait ce désir de faire plus de place aux ambiances?
Vincent : Oui, parce qu’on a beau faire un format chanson, dans nos temps libres, on n’écoute pas que de la chanson! On aime bien la musique qui s’étire, ambiante ou minimale.
Alexander : Pendant un bout, il y avait d’ailleurs la possibilité d’écrire du texte sur cette pièce-là. J’avais commencé à écrire du texte en français et en anglais, j’ai fait quelques tests chez moi et finalement, on n’était pas certain que c’était nécessaire de mettre du vocal. Plus on l’écoutait, plus on se demandait pourquoi on ne la garderait pas seulement instrumentale. On se disait que ça faisait du bien sur un album.
B.M. : Après plus de 20 ans à être présent sur la scène musicale, comment on arrive à perdurer dans le temps?
Vincent : Ça dépend du seuil de tolérance à plein d’affaires. Pour vrai, je ne sais pas comment ça on est encore là! (Rires) Aussi, notre musique est un peu ambiguë depuis le début. À notre commencement, on arrivait avec le gros synthé analogue et la grosse guitare, et c’était en marge de ce qui se faisait. Pour nous, c’était naturel!
Alexander : C’est une autre réalité maintenant aussi. Non seulement l’industrie musicale ne génère pas de revenu, mais il y a un overload de groupes. Tout est maintenant accessible et disponible. Dans ce temps-là, personne ne jouait de synthé! Maintenant, tous les groupes rock ou presque que je vais voir ont un synthé à quelque part. Nous, on fait fi de tout ce qui se passe, de tous les phénomènes de mode. On a jamais été très bon à suivre les tendances. Je pense que c’est ce qui nous permet de persister et d’exister encore.
Alors que l’envie de retourner jouer du côté de l’Amérique latine est toujours bien présente pour le groupe, il se produira sur les scènes du Québec un peu partout au cours des prochains mois pour présenter ce nouvel album. Pour connaître tous les détails des prochains concerts, c’est par ici! L’album NADA est disponible en format physique et numérique sur toutes les plateformes d’écoute.
Photo de couverture : Josée Lecompte