Sortir du puits

Sortir du puits

Une fois, je suis tombée sur une belle métaphore qui comparait la dépression à un puits ben profond. Ça disait que chaque petite chose qui fait du bien nous permettait de grimper quelques millimètres pour s’approcher de la sortie. Quand je suis devenue maman, je me suis complètement éteinte. Accouchement traumatique, manque de sommeil et plusieurs autres causes qui tiennent plutôt de ma psychologie complexe. Ainsi, je n’aimais plus rien et pire encore, je ne savais plus ce que j’aimais. Alors, trouver les choses qui me faisaient du bien, c’était comme chercher au hasard la combinaison d’un cadenas. Tout me semblait à la fois profondément inutile et terriblement douloureux.

Je pensais avec horreur que c’était ça, la vraie réalité, style matrice. Maintenant que je « savais », j’avais perdu ma naïveté pour toujours et c’était donc impossible que j’aille mieux un jour.

Sortir du puits


Guérir de ça, c’est long et pénible.

Mais un jour, à ma grande surprise, je suis sortie du puits.

Je dis surprise, mais en vrai, je travaillais d’arrache-pied. J’avais mille rendez-vous, psychiatre, psychologue, psychoéducatrice… J’avais cogné à trois millions de portes pour avoir de l’aide, des services, des ressources. Je remplissais bien mes semaines, je m’occupais, j’avais rarement des moments vides. Ça peut sembler contre-productif à cause de l’épuisement, mais chaque petite sortie rendait ma douleur un peu moins insupportable. Comme si je mettais du petit gel qui donne froid sur une blessure musculaire.

Avec le temps, j’avais trouvé une couple d’affaires qui, comment dire… Me procuraient un certain divertissement. Moi qui n’avais jamais touché à un crayon de ma vie, j’ai commencé à dessiner. J’ai bingé des chaînes Youtube de bouffe, de cuisine. Des p’tits trucs, comme une ampoule d’environ 8 watts qui aurait éclairé une pièce plongée dans une obscurité complète.

Sortir du puits


J’ai évité les choses qui ne me faisaient pas du bien. La série « You », par exemple, que j’ai abandonnée aussi rapidement que le dude à la fin du troisième épisode… Bref, IYKYK.

La journée où j’suis sortie du puits avait débuté comme toutes les autres. On avait ajusté un de mes médicaments quelques jours plus tôt et je voyais déjà une certaine différence. J’étais presque de retour à un moral pas trop pire, mais il manquait un petit quelque chose. C’était juillet, chaleur intense, aucun plan pour la journée, angoisse. Ils disaient d’éviter les sorties, surtout pour les enfants. Mon bébé de 7 mois et moi on tournait donc en rond à l’intérieur. Alors, malgré l’avertissement, malgré l’énergie que ça me prenait, j’ai mis ma minuscule fifille dans sa coquille et je suis sortie. On était en voiture, la clim dans le tapis, et la crémerie était évidemment climatisée.

Comme j’ai dit, chaque sortie améliorait inévitablement mon humeur.

Après, je suis allée prendre une mini marche jusqu’à la pharmacie. Encore une fois, c’est à côté, ma fille était habillée léger et protégée du soleil. C’est en revenant de la pharmacie que la magie a opéré. J’ai piqué à travers le parc. Je vous l’ai dit, mon humeur s’améliorait à chaque sortie et chaque mini truc positif me faisait progresser de quelques millimètres vers la sortie du puits.

Sortir du puits


Cette fois-là, au moment précis où je marchais dans le parc, j’ai franchi les derniers millimètres du gouffre dans lequel j’avais été vigoureusement propulsée des mois plus tôt et ça m’a frappée : je me sentais bien.

On s’entend. Tu ne pars pas courir un marathon quand tu viens de te faire enlever un plâtre à la jambe, mais le goût de vivre qui m’avait été arraché sauvagement se pointait enfin timidement le bout du nez.

À force d’innombrables petites joies empilées les unes par-dessus les autres, j’avais fini par trouver la bonne combinaison vers le début de ma rémission.

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Daphné Cyr

J'aime mes enfants, les chats, les crayons, les gâteaux, le cube Rubik, les cahiers de notes, lire, écrire, dessiner et raconter les anecdotes loufoques qui m'arrivent à toutes les deux minutes.

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