Depuis son premier effort solo sorti il y a bientôt dix ans, Félix Dyotte est passé maître dans l’art de raconter des histoires. Les siennes, mais aussi celles qui occupent son imaginaire et qui guident chacune des mélodies soigneusement orchestrées à ses mots. S’il multiplie les collaborations depuis bon nombre d’années déjà (Evelyne Brochu, Pierre Lapointe, Salomé Leclerc et bien d’autres), c’est néanmoins seul que l’auteur-compositeur-interprète se plaît à explorer de nouvelles avenues, comme celle empruntée avec le tout dernier Aérosol, un quatrième album dans lequel le monde de la chanson croise celui de l’électronique. Synthétiseurs, drum machines et accents new wave façonnent ainsi ce plus récent opus dont la coréalisation s’est faite aux côtés de Félix Bélisle du groupe Choses Sauvages.
« Cet album, c’est celui qui m’a pris le plus de temps à faire. C’est comme mon nouveau premier album! » me lance Félix Dyotte autour d’un café, tout juste avant de me raconter la genèse de ce « nouveau premier album », dont l’écriture a été entamée en 2019, au même moment où il s’affairait au précédent Airs païens, celui-là sorti en 2021. « C’était un peu pile ou face. Je voulais faire deux albums diamétralement opposés : un avec seulement des instruments acoustiques et l’autre, que des instruments impliquant de brancher quelque chose. Je suis allé vers Airs païens plus naturellement puisque j’étais au Mexique et que c’était un peu plus facile avec des instruments acoustiques. J’ai donc terminé de l’écrire et commencé à l’enregistrer là-bas, avant de revenir au Québec. En 2020, cet album était fini, mais c’est comme si l’autre, il faisait juste trainer, même si j’avais déjà écris quelques chansons. » raconte Dyotte.
Le temps fait bien les choses et si la route vers Aérosol a été longue, elle n’est cependant pas si étrangère. « La vérité, c’est que chaque fois que je sors un album, ce sont des chansons que j’ai commencées il y a longtemps. Je ne suis pas quelqu’un qui compartimente en me disant « OK, c’est parti, on écrit l’album! » Je suis toujours en train d’écrire et de noter des idées. […] Je suis quelqu’un de très ordonné, mais aussi quelqu’un de bordélique et je pense que je fais un peu ça avec des chansons. J’oublie qu’elles existent. Je commence à les écrire et je passe à autre chose. Par contre, ce n’est pas juste un bordel, dans le sens où j’arrive souvent assez tôt avec des concepts d’albums. Je pense beaucoup à ça, même si pour les chansons, ça se fait petit à petit. Je crois que d’avoir un studio à la maison fait que je me sens jamais tellement pressé et me permets de faire ça, et ce, pour le meilleur et pour le pire! »
Quand la chanson rencontre l’électro
Alors que des pièces comme C’est pire et c’est mieux ou encore Winnipeg ramène la signature pop rock réconfortante de Dyotte, ce dernier, avec le désir constant de se renouveler et d’être confronté à de nouvelles idées, avait dès le départ la volonté de donner des couleurs claires à l’album. De la chanson oui, mais dans une direction éclatée. « J’ai besoin d’être un peu muselé à quelque part, parce qu’ironiquement, je trouve que la liberté est là. Si je me crée quelques barrières, ça me permet d’aller à fond dans ce qu’on a déterminé. Je suis un gars de direction artistique » souligne-t-il, en faisant référence à la manière de faire de David Bowie. « J’ai toujours trouvé intéressante la façon qu’il avait de concevoir des albums parce que lui aussi, était très conceptuel et cérébral. J’ai l’impression qu’il réfléchissait au genre d’album qu’il voulait faire avant de le commencer et qu’il se plongeait dans un monde particulier. Je m’identifie beaucoup à ça. Je me demande toujours ce que j’ai le goût d’essayer à chaque album. »
Pari réussi, puisqu’avec Aérosol, Félix Dyotte arrive habilement à faire vivre sa plume, toujours aussi éloquente, dans un univers polychrome, teinté de rythmes dansants et de textures enveloppantes — la séquence Survie en forêt et Musée de cire convainc à elle seule. À l’équation s’ajoute la collaboration de Félix Bélisle, qui a su donner toute la confiance nécessaire au principal intéressé pour mener le projet à terme. « Je me suis un peu perdu en cours de route et à un moment donné, je n’étais plus capable de voir clair. Je ne savais plus ce qui était bon et ce qui ne l’était pas. C’est à ce moment que j’ai fait appel à Félix pour venir me réveiller. Il est arrivé pour les derniers milles de l’album et pour le mix, fait par Pascal Shefteshy, avec qui je travaille depuis longtemps. Ça m’a vraiment aidé à finir l’album. J’ai déjà hâte de retravailler avec Félix, parce qu’il a une vision artistique super clair et ça a permis de resserrer la mienne. […] J’aime vraiment le monde de l’électro. Il y a un côté qui se prend moins au sérieux que je trouve vraiment amusant et j’ai le goût que ce soit un peu le party des fois! La musique sérieuse, je ne suis pas dans ce mood-là ces temps-ci. »
Laisser la musique parler d’elle-même
De l’introductrice Bonjour — titre qui a d’ailleurs failli être celui de l’album — en passant par l’énergique Coyoacán, à travers les onze pièces d’Aérosol, Dyotte laisse respirer les choses et exister chacune des mélodies. « C’était important pour moi de faire ça. Je venais tout juste de réaliser et composer l’album d’Evelyne Brochu, Le danger, qui est vraiment efficace, dans le sens où il n’y a presque pas de moments morts ni de bouts instrumentaux. Le lendemain où le projet était fini, je me remettais à mon album et c’était un peu une réponse à ça. J’avais vraiment besoin de mettre de l’instrumental ici et là. C’est aussi le genre de truc que Félix [Bélisle] comprenait complètement. »
Au milieu des harmonies vocales partagées avec sa complice Evelyne Brochu, l’artiste arrive à construire un monde aussi sensible qu’imagé, où l’imaginaire côtoie la réalité. « Dites-moi que la vie n’est pas ce qu’on attend d’elle / Que notre imagination n’a pas assez d’ailes » nous dit-il sur Dites-moi que la vie n’est pas ce qu’on attend d’elle, pièce hypnotique inspirée de l’univers de Brigitte Fontaine qui à l’origine, aurait pu prendre un tout autre tournant. « Au début, cette chanson-là ne ressemblait pas du tout à ça! En fait, je ne voulais pas la mettre sur un album plus électro, parce que je ne trouvais pas qu’elle cadrait avec ça. Moi, à la base, j’imaginais un genre de tableau cinématographique avec une chorale d’enfants dans une cathédrale qui chantait à l’unisson « Dites-moi que la vie n’est pas ce qu’on attend d’elle » a cappella autour d’un orgue, quelque chose de vraiment dark. Ça faisait un peu film d’horreur! Finalement, ça a pris un tournant un peu plus relax! (Rires) »
Cette vision cinématographique, Dyotte l’amène jusqu’à la fin de l’album avec Onomatopée, courte pièce instrumentale basée sur une faute arrivée en cours de parcours. « La pièce a été complètement construite à partir d’une erreur que j’ai faite! L’album a tellement été étiré sur une longue période de temps que plus tôt dans le processus, je suis allé au Studio Planet pour enregistrer des cuivres et des pianos et c’était fantastique. J’ai dû mettre ça de côté un moment comme je travaillais sur l’album d’Evelyne et quand j’y suis revenu des mois plus tard, mon équipe avait proposé de choisir la pièce Bonjour comme premier single, j’ai donc dû la terminer rapidement avant les autres chansons. […] Vers la fin de l’album, j’ai réouvert les sessions de cuivre et de piano que j’avais mis un peu partout et là, j’ai réalisé qu’il y avait des cuivres sur la pièce Bonjour que j’avais oublié de mettre, mais il était trop tard, la chanson était déjà partie! Je trouvais les cuivres tellement beaux que j’ai donc fait une pièce avec les tracks oubliés » raconte l’artiste, qui, inconsciemment, bouclait la boucle : « Je ne veux pas te dire bonjour / Ce n’est pas un mot pour nous / Peut-être une onomatopée / Serait-elle appropriée? » chante-t-il sur Bonjour.
S’il le considère comme le jumeau non-identique de son prédécesseur Airs païens, avec Aérosol, Félix Dyotte ajoute à sa feuille de route une quatrième proposition bien unique, où, à travers chaque bribe d’histoire, le temps semble être en suspens. Un titre d’album en ce sens tout indiqué, ressortit parmi près d’une centaine d’idées lors d’un remue-méninges. Les oreilles les plus attentives remarqueront même le son d’une vraie canette d’aérosol aux premières secondes de la chanson Un vent de vanille. Un autre heureux hasard.
Le public aura l’occasion de découvrir Aérosol le 15 juin prochain à 18 h, lors d’un lancement gratuit sur la scène Loto-Québec des Francos de Montréal. L’album est disponible dès maintenant sous l’étiquette Bonbonbon, sur toutes les plateformes d’achat et d’écoute en ligne, en formats physique et numérique.
Crédit photo de couverture : Elizabeth Delage / Direction artistique : Jeanne Joly