Membrane : quand l’identité dépasse la chair

Membrane : quand l'identité dépasse la chair

Tout de suite après les mots de la fin, j’ai eu le souffle coupé. J’ai entendu des « wow » autour de moi, des soupirs d’ébahissement. C’est l’effet que Membrane semble susciter chez le public, chez moi tout du moins. Présentée au Théâtre Prospero, il s’agit d’une science-fiction brillamment exécutée par la mise en scène et la scénographie de Cédric Delorme-Bouchard. Basé sur le roman de Chi Ta-Wei, on est transporté grâce à l’adaptation de Rébecca Déraspe dans un monde futuriste qui interroge ce qui définit véritablement un être humain, abordant par le fait même les identités de genre.

On y suit Momo, qui, à la suite d’un grave virus, doit subir diverses transplantations d’organes et être séparé.e de sa mère après trois ans d’isolement. Plusieurs années plus tard, après avoir attendu en vain le retour de sa mère, Momo devient la seule esthéticienne à détenir une membrane invisible au pouvoir surréel, qui vient justement questionner et critiquer l’existence humaine et les caractéristiques du corps. Que se cache-t-il derrière les frontières de la peau? C’est à la veille de ses trente ans que Momo s’apprête enfin à revoir sa mère et espère avoir enfin des réponses à ses questions.

Des thèmes actuels

Bien que le roman ait été écrit en 1995, les thèmes abordés font particulièrement écho à la société occidentale d’aujourd’hui. L’on retrouve au cœur de la pièce la question de l’identité, ou plutôt des identités, puis on peut nommer, entres autres, le rapport à la sexualité, la crise climatique puis la technologie. L’intelligence artificielle est extrêmement présente et explorée, illustrée entre autres par le personnage d’Andy et creusée par l’idée des rencontres virtuelles, des êtres artificiels. L’idée de ce qui définit l’humain et la mort est très bien exploitée tout au long de l’œuvre et on ressort du Théâtre Prospéro avec plusieurs réflexions qui persistent. C’est signe que la pièce a accomplie sa mission de remises en question.

Jeu et corporalité

Membrane
Crédit photo:  Maxim Paré Fortin

Il faut souligner le travail remarquable des interprètes qui, au-delà d’un jeu nuancé et empli de sincérité, ont effectué un travail corporel majestueux. Larissa Corriveau et Sébastien René, principalement, avaient une gestuelle particulière et une corporalité robotique, leurs mouvements découpés par une précision remarquable. Évelyne de la Chenelière, bien qu’elle arrive à la fin, illustre parfaitement la sensibilité et le chamboulement d’une mère qui retrouve son enfant. Un peu sous le ton d’une tragédie, on peut penser que son jeu détonne, mais j’ai trouvé au contraire qu’il était crédible dans le contexte de l’histoire. Petit bémol pour le chœur des trois personnages, dont la présence ne me paraissait pas des plus percutantes. Étant très présent dans la première partie, je craignais que toute la pièce suive ce rythme lent et dramatique. Heureusement, ce n’est pas le cas. J’ai par contre été conquise par les scènes de la deuxième partie, où le chœur se fait de plus en plus absent.

Membrane
Crédit photo:  Maxim Paré Fortin

Décor à la « liminal spaces »

Enfin, il faut noter le jeu des éclairages, de la colorisation des LED passant du rouge au bleu, créant une ambiance chaleureuse, enivrante et inquiétante à la fois. Une lumière flottante au centre de la pièce devient hypnotisante, on se sent presque dans un espace liminal. En effet, le reste du décor est minimaliste, vide, un simple carrelage couvre les murs et le plancher. Nulle porte visible, ce sont les murs qui bougent pour permettre aux interprètent d’entrer et sortir de scène. On se sent tantôt dans un centre de laboratoire, tantôt dans un logiciel informatique, tantôt dans un monde post-apocalypse. Il faut dire que l’univers se déroule dans une cité sous-marine, puisque la Terre est devenue inhabitable. Tous ces éléments peuvent faire écho aux espaces liminaux, lieux vides ou abandonnés, d’apparence étrange, qui sont généralement des lieux de diverses transitions. On peut y voir bien sûr un parallèle avec les transitions possibles de l’identité.

Membrane
Crédit photo:  Maxim Paré Fortin

Je recommande vivement cette pièce pour sa complexité, sa profondeur et ses nuances. Il vous reste encore du temps pour profiter de cette œuvre saisissante, puisqu’elle est en salle jusqu’au 10 février!

Crédit photo de couverture : Maxim Paré Fortin

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