Publié aux éditions Somme Toute/Le Devoir, l’ouvrage collectif L’état du Québec 2023 – Urgence climatique: agir sur tous les fronts explore différents champs d’action en matière d’environnement, et ce, tout en réfléchissant sur les réalités politiques et psychosociales qui en imposent généralement les limites. Disponible en librairie maintenant.
Si les dernières élections provinciales nous ont démontré quoi que ce soit, c’est bien que l’inévitabilité du désastre climatique n’est toujours pas un enjeu susceptible de faire pencher la balance politique au Québec. Choisissant plutôt de reconduire le mandat d’un gouvernement caquiste qui n’aborde l’environnement que du bout des lèvres (et sans jamais l’adresser sérieusement), la population de la belle province a, en effet, préféré délégué encore une fois aux générations futures la responsabilité de négocier avec les dégâts qu’auront manifestement déjà engendrés les changements climatiques au moment où celles-ci se présenteront aux urnes.
Dans cette optique, il est donc légitime de se demander à quoi pourrait bien servir la publication d’un énième ouvrage visant à nous éduquer sur l’importance d’agir rapidement et drastiquement afin de contrer les pires effets de la catastrophe environnementale. Convaincre les climato-sceptiques? J’en doute. De toute façon, ils sont trop peu nombreux pour représenter vraiment le cœur du problème. Pousser ceux « qui savent très bien », mais qui n’agissent pas en conséquence, à revoir leurs priorités? Pas mal certain qu’ils préféreront encore continuer de s’enfermer dans le mythe du capitalisme « vert », plutôt que d’accepter que l’économie de croissance ne sera jamais compatible avec leurs idéaux de développement durable. Quant aux éco-anxieux, restera toujours le techno-utopisme (Elon Musk nous construira une nouvelle planète quelque part entre Mars et Twitter!) ou encore le réalisme capitaliste (il n’y a, de toute façon, aucune alternative envisageable au système actuel) pour panser leurs plaies en silence.
Prêcher à leur paroisse, donc : c’est à peu près le mieux auquel peuvent réellement aspirer les auteurs de cette nouvelle édition de L’état du Québec ― ce qui n’en fait pas pour autant un livre inintéressant. Explorant plusieurs terrains fertiles en termes d’action environnementale, ce nouvel ouvrage couvre autant les champs de la santé publique, du logement et du transport que l’agriculture, l’économie ou encore la culture. Malheureusement, on imagine mal que de leurs projets de gestion des ressources et du territoire, lesquels s’inscrivent dans une vision de gouvernance tendue vers l’avenir, puissent faire autrement que tomber dans l’oreille d’une bureaucratie assourdie par ses lubies managériales et son culte de l’efficience et du rendement à court-terme. N’en demeure pas moins qu’elles démontrent, au minimum, que de s’enfermer dans l’immobilisme du statu quo et dans la fausse dichotomie qui oppose sans cesse économie et environnement, représente davantage un choix de société plutôt qu’une absence réelle d’alternative.
(À ce sujet, il est d’ailleurs assez ironique que ce soit au président de la firme de sondage CROP, Alain Giguère, que revienne ici l’honneur d’ouvrir le bal de l’urgence climatique. En effet, alors que son entreprise participe elle-même activement à perpétuer cette fausse dichotomie entre santé écologique et économique, il est amusant de voir celui-ci feindre de se désoler qu’« [u]ne personne sur trois au Québec se dit prête à accepter davantage de pollution afin de préserver des emplois ».)
Du (presque) courage de (presque) nommer les choses par leurs noms
Sans dénoncer explicitement les contradictions inhérentes qui existent entre le néolibéralisme et la lutte (sérieuse) contre les changements climatiques, on peut tout de même saluer l’exaspération transparente de la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, vis-à-vis l’électeur moyen qui se dit être « pour la protection de l’environnement, tant que ça ne vient pas changer sa propre vie, ses habitudes ou son portefeuille ». Idem lorsque la politicienne de l’Estrie ajoute que « [d]u côté du milieu des affaires […] on fait les choses au nom d’un certain développement économique qu’on ne souhaite pas remettre en question ». Sans qu’elle n’ose nommer par son nom le capitalisme tentaculaire et son culte de la croissance continue, on arrive tout de même à deviner ce qu’elle entend par « un certain développement économique ». Il est celui qui favorisera toujours le profit au détriment des besoins humains, et la croissance à court-terme au détriment de la pérennité du vivant.
Si l’élue sherbrookoise se mouille, au minimum, à dire tout haut ce qu’elle n’oserait probablement que penser tout bas en période électorale (« [o]n dirait que les conséquences de ces changements ne sont pas assez quotidiennes pour provoquer une véritable prise de conscience »), on a beau jeu de se demander à quel moment, exactement, nos politicien.ne.s oseront enfin nous dire franchement nos quatre vérités, au lieu de nous répéter encore et sans cesse que le Québec est un leader mondial en termes de lutte (incrémentale au mieux, cosmétique au pire) contre la catastrophe climatique ― slogan très vendeur, certainement, mais qui ne cesse de nous conforter dans notre manque flagrant de sérieux.
Alors qu’Évelyne Beaudin vise juste en identifiant le manque de volonté populaire comme important frein au progrès en matière de politique environnementale, le fait que celle-ci pétitionne en faveur d’une plus grande décentralisation des pouvoirs du provincial vers le municipal ― et ce, afin de « favoriser l’autonomie des communautés » ― trahit également son manque évident de confiance en la possibilité d’une action politique coordonnée et à grande échelle. Son homologue de Québec, Bruno Marchand, semble d’ailleurs s’opposer à cette vision atomisante de la politique municipale, se désolant qu’on puisse ainsi « poser des gestes [positifs] dans une ville ou une communauté et se retrouver avec une autre municipalité trois kilomètres plus loin qui pose des gestes [contradictoires], car elle n’est pas assujettie aux mêmes règles ».
Derrière ce juste constat se cache évidemment un autre problème inhérent au capitalisme néolibéral, soit qu’il implique forcément une prise en otage total de l’économie par les détenteurs du capital : motivés par le profit avant toute chose, ceux-ci exigeront effectivement toujours un certain degré de déréglementation en matière de contrôle sur la pollution commerciale/industrielle, et ce, en contrepartie d’une création (et d’un maintien) d’emploi local dont ils se servent sans gêne comme objet de chantage. Dans cette optique, il va sans dire qu’une planification centralisée de l’économie faciliterait la capacité de l’État à harmoniser création d’emploi et lutte contre la pollution, alors qu’une plus grande décentralisation permettrait encore davantage aux entreprises privées de niveler les standards de pollution vers le bas et de mener une guerre aux enchères afin de déterminer quelle municipalité sera prête à vendre au plus petit prix la santé et l’avenir de ses citoyens et citoyennes.
Au demeurant, la force première de L’état du Québec réside donc peut-être moins dans les détails techniques propres aux différents champs d’expertise qu’il explore que dans sa capacité à réitérer l’idée qu’il existe bel et bien des solutions concrètes aux problèmes environnementaux ; que les barrières qui nous gardent si profondément enfoncés dans le cul-de-sac-en-plastique de l’Histoire reposent moins sur un véritable pragmatisme matériel que sur la naturalisation dans l’esprit collectif d’une idéologie politique cynique et profondément nihiliste.
Ou, pour paraphraser l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair : oui, les changements climatiques sont bien réels ; oui, ils représentent bien une menace imminente pour l’humanité ; oui, les humains en sont bien la cause… Mais tenter de faire quelque chose pour y remédier serait simplement, politiquement, irréaliste.
Photo de couverture: L’état du Québec 2023, crédit: Institut du nouveau monde