J’ai toujours aimé les mots. Leur sens et leur sonorité, les glisser dans une colonne de mots croisés, jongler avec eux au scrabble, en faire porter mes textes, autant qu’ils puissent raisonner pour la personne qui les lit.
Je manquais d’inspiration depuis quelques semaines, malgré mon infini amour des mots, pour qu’ils s’accordent harmonieusement en un discours digne de sens et qu’ils racontent une histoire trouvant son hôte. Comme on trouve un gîte après s’être perdu dans les bois. Un repaire. Ou serait-ce un repère? Ces deux mots me sont venus en tête alors que je réfléchissais à l’année qui vient de passer. Deux mots qui arborent des similitudes autant de par leur homonymie que par leur sens. Deux mots pourtant pas tout à fait identiques puisque d’une part, le premier, repaire renvoie à un lieu servant de refuge à une bête sauvage; alors que repère désigne plutôt une marque servant à se situer par rapport à un tout, à faire du sens.
C’est comme si drôlement, notre maison était devenue à la fois les deux en même temps au fil de l’année 2020. Car pour plusieurs d’entre nous, rester à la maison pouvait autant rimer avec angoisse, sentiment d’étouffement, absence de liberté et manque de contacts, qu’aussi et heureusement point de repère, sentiment d’appartenance et ancrage.
Certes nos points de repère ont été mis à mal durant cette éprouvante année où tout ce que l’on pouvait prendre pour acquis (et ce ne sont pas les exemples qui manquent ici : avoir accès au système de santé, voir nos amis et notre famille, s’approvisionner en produits variés, avoir accès aux établissements d’enseignement et aux activités de loisirs, bénéficier de soins personnels, profiter de lieux de culture et de divertissement, et j’en passe) avait disparu avec la nouvelle réalité. Notre liberté n’avait plus de repère que notre capacité à s’adapter aux mesures et à la structure en place désormais portrait d’une réalité pandémique, jusque-là insoupçonnée dans notre société occidentale.
Confrontés à nous-mêmes, à nos angoisses et à notre propre intimité, à partager la cuisine et nos chagrins avec notre bulle ou à les tolérer dans la plus grande solitude, nous n’avions d’autre choix dorénavant que de dealer avec la bête du refuge. Pour échapper aux menaces externes, notre repaire est alors devenu notre seul endroit où gîter, en attendant que la tempête se calme.
Mais cette tempête s’est avérée plus longue que nous ne l’avions anticipée et notre anxiété s’en est trouvée accrue. Trouver des moyens d’ériger de nouvelles balises pour prendre racine, redéfinir qui nous sommes quand nos certitudes les plus grandes se sont effritées, voilà là un scénario qui a exigé de nous une grande résilience. Nous avons tous réalisé à quel point nos repères constituaient la fondation de notre existence, notre gravité.
Quand je repense à tous les nouveaux mots qui résonnent dans ma tête en évoquant 2020, je me dis que l’évolution se poursuit avec des détours inattendus et que l’avenir ne peut que sans cesse nous surprendre. La façon dont on décrit l’épreuve que l’on traverse donne naissance à un vocabulaire bien personnel, qui teintera sans doute notre expérience, dans le bon comme dans le mauvais sens.
Si jamais tu réalises que ton repaire est effrayant ou inconfortable, tu devras trouver de nouvelles sources de clarté et d’assurance. Si tu ne peux plus suivre la piste facilement repérable jusqu’ici, tu devras emprunter le chemin le moins fréquenté et installer de nouvelles bornes pour te rendre à destination.
Si tu t’ennuies des gens que tu aimes, tu pourras réaliser à quel point ils sont importants pour toi, et jamais tu ne verras tous les câlins que tu offriras de la même manière. Si tu ne vois plus rien devant toi en ce moment, parce que ton monde s’est écroulé et que tes repères ont perdu pied, tu pourras créer. C’est la beauté du monde, il n’y aura jamais de limite à ça. Créer. Faire de son repaire un repère, et se voir chanceux de pouvoir en sortir, pour mieux y revenir. Tu choisiras les bons mots pour exprimer tes maux à ta façon et tu en trouveras de nouveaux pour dire je t’aime.
Les mots sont mon repère. Ils seront toujours là pour dire, rimer, décrire et chanter, apprendre et partager. Parfois je me surprends à les enfouir dans mon repaire intérieur, mais chaque fois que j’arrive à les faire émigrer hors de ma tanière, je suis un peu libérée.