Hier, Maxi lançait une publicité que vous avez sans doute vu circuler… ou, du moins, dont vous avez entendu parler (heureusement la publicité fut retirée). En résumé, ladite publicité présentait son égérie, Martin Matte, dans un « fat suit » s’exprimant sur le fait qu’il ne cesse de manger, depuis le début du confinement. Au passage, l’annonce présente une multitude de saveurs et de produits d’ici à découvrir.
S’en est suivi un important débat : d’un côté les gens qui dénoncent la publicité et la grossophobie dont elle fait preuve; de l’autre ceux qui revendiquent à grands coups de liberté d’expression le droit de dire et de rire de ce que l’on veut. Et j’oubliais, les personnes grosses qui disent ne pas s’être senties offusquées par la publicité.
J’aimerais prendre un moment pour explorer ces divers discours.
Grossophobe comme publicité?
J’en conviens, le terme « grossophobie » fait peur. Personne ne souhaite être étiqueté grossophobe, personne ne s’imagine être grossophobe… et pourtant. Lors d’une présentation à Toronto, une phrase qu’a prononcée une femme inspirante m’a marquée. La question n’est pas de savoir « Suis-je grossophobe? », mais plutôt « À quel moment suis-je grossophobe? ». Une nuance importante, car nous sommes tous et toutes habité.e.s par les construits de notre société. Depuis notre tendre enfance, notre environnement nous martèle des messages suivants : les gros.ses sont drôles, paresseux.ses, mangent trop (donc sont responsables de leur malheur), etc. Certains messages que l’on retrouvait étonnamment dans la publicité. Nous baignons tellement dans cette piscine de messages toxiques que nous ne sommes même plus en mesure de le percevoir lorsque nous faisons ces associations par habitude… pour faire rire. Même l’équipe de feu derrière les médias sociaux/le marketing de l’entreprise n’a pas réalisé le sérieux et l’ampleur des messages lancés par l’utilisation du « fat suit » dans un tel contexte.
Pas étonnant de voir que la principale cause d’intimidation dans les écoles secondaires du Québec concerne l’apparence, et plus précisément, le poids. Ces messages sont sournois. Insidieux. Pris individuellement, ils semblent inoffensifs… bon enfant, comme dirait certain.e.s. Pris collectivement, ils créent et perpétuent la norme. Comment se fait-il que pendant si longtemps, et encore aujourd’hui, les mots « personnes grosses » soient tabous? Malheureusement, le mot « gros » revêt dans notre société une connotation négative, alors que dans les faits, il constitue un terme neutre pour désigner un format (corporel, mais aussi pour des objets, comme une maison, une piscine, etc.).
Et la liberté d’expression dans tout cela?
Mais… où se trouve alors notre liberté d’expression diront certain.e.s? Étrangement, la liberté d’expression en prend tout un coup. Avez-vous remarqué que de nos jours on y fait allusion bien trop souvent pour se défendre de rire ou brimer des personnes marginalisées? Un humoriste rit d’une personne avec un handicap? Certaines personnes s’insurgent, on crie à la liberté d’expression. On confie à des acteurs.rices blancs.ches le rôle de personnes noires? Des gens dénoncent. Idem, on en appelle à notre fameuse liberté d’expression. On utilise un « fat suit » pour faire rire? Certaines personnes dénoncent, on revient à la charge avec la liberté d’expression. Je n’ai jamais vu ce mot autant galvaudé. Quel dommage! La liberté d’expression devrait être noble : elle devrait mettre en lumière la vérité, servir à dénoncer les injustices, offrir une voix à ceux et celles qui n’en ont pas. La liberté d’opinion ne devrait pas servir de prétexte pour éviter de réfléchir aux impacts de nos actions et à notre responsabilité collective.
Des messages intériorisés
Et pour ceux et celles qui disent ne pas avoir été offusqué.e.s, alors qu’elles sont grosses ou gros, tant mieux, mais voyons un peu plus loin, si vous le voulez bien. Il est normal que vous ne vous soyez peut-être pas senti.e.s dérangé.e.s par ces images, car elles sont maintes et maintes fois véhiculées, au point de devenir banales. Par contre, le jour où vous vous sentez coupable de manger un aliment en particulier (voire même vous vous l’interdisez); que vous tentez pour la énième fois de perdre du poids pour vous sentir mieux dans votre peau; ce jour où vous vous empêchez de mettre un vêtement, car il vous fait paraître plus gros ou grosse. Ces journées qui se répètent sont alimentées par des images banales comme celles de la publicité. On dit alors que ces messages ont été intériorisés. Malheureusement, des images et des messages de ce type contribuent au développement d’une relation conflictuelle avec la nourriture. En ce temps de pandémie et de confinement, nous devrions tout simplement nous soucier de notre santé mentale et non nous encombrer de préoccupations quant à notre poids. Nous devrions tous et toutes pouvoir manger plus librement, sans toute cette charge mentale qui accompagne un acte qui devrait être, en réalité, bien plus simple.