Ariane Zita lançait plus tôt en mars Beige, un deuxième album complet qui fait suite au EP J’espère que tu vas mieux sortie à l’été 2018. Si Comme une tempête, le premier extrait de Beige lancé en novembre dernier, évoque le besoin de céder à ses envies, on peut dire qu’avec ce nouvel album, l’autrice-compositrice-interprète et illustratrice nous fait plaisir en proposant un disque lumineux, où le désir d’aller mieux remporte sur la mélancolie. On a posé quelques questions (à distance !) à Ariane afin d’en savoir davantage sur cette nouvelle proposition et sur comment elle vivait la situation actuelle.
Boucle Magazine : Au cours des dernières semaines, tu nous as partagé quelques illustrations et tu as aussi entrepris « Ça va passer » une playlist de reprises musicales apaisantes sur ta chaîne YouTube. Est-ce que c’est important pour toi de continuer d’être active dans la situation actuelle ? De quelle manière perçois-tu la création en ce moment ?
Ariane Zita : Je pense que c’est important, mais c’est quelque chose qui me stresse beaucoup. Parce que je suis confinée dans un quatre et demie au deuxième étage, en plein coeur de Montréal, avec un enfant de deux ans. C’est difficile de trouver l’espace, que ce soit mentalement ou physiquement, pour créer quelque chose qui soit digne de diffusion, d’être constante dans ma création. Au début du confinement, je ressentais beaucoup la pression de diffuser et de créer du contenu à tout prix, notamment parce que je venais de sortir un album. Mais j’ai décidé d’être plus clémente à mon égard, et de créer à mon rythme. Parce que le self-care est aussi très important en période de crise, c’est une question de survie.
BM : Il y a d’ailleurs quelque chose de réconfortant dans tes chansons. Quelque chose qui fait qu’on se sent moins seul.e.s. Beige parle entre autres de solitude et de charge mentale. Dans quel état d’esprit l’album s’est-il construit ?
AZ : J’ai commencé à écrire Beige en septembre 2018, tout juste après mon congé de maternité, durant lequel j’ai fait une grosse dépression post-partum. On conçoit souvent la dépression comme un épisode vraiment sombre rempli d’idées noires et de détresse, ce qui est vrai, mais il y a aussi de longs moments de lassitude, d’apathie, du moins pour moi. Et c’est cette apathie qui m’a inspiré Beige, au moment où je commençais justement à m’en sortir. Sinon, la plupart des chansons ont été écrites lors d’un voyage que j’ai fait toute seule en Islande, chez une amie qui y est installée, sur le bord de la mer. C’était mon premier long moment passé sans mon fils depuis sa naissance, et ça m’a permis de prendre le recul nécessaire pour me mettre dans un mood de création.
BM : Dans les chansons, il est aussi question d’amour et plus particulièrement d’amour maternel. Je pense entre autres à la pièce titre Beige, qui me semble être une des plus intimes de l’album. Est-ce que la maternité t’a amené à voir ton approche à la musique et à l’écriture différemment ?
AZ : Je pense que, à moins de faire un album concept ou de se mettre dans la peau d’un personnage, c’est difficile de s’éloigner complètement de ce qui nous habite quand on écrit un album. Au moment d’écrire les chansons, je venais tout juste de vivre ces changements intenses là [avoir un enfant] et ça prenait beaucoup de place dans ma tête. Je trouve aussi qu’en art, le thème de la maternité est perçu comme quelque chose de très niché, limite quétaine, alors que pourtant, ça concerne un grand nombre de personnes et c’est une expérience humaine très complexe, très riche. J’avais le goût de me donner le défi (et le droit) de faire un album qui abordait ce thème.
BM : Déjà avec la chanson Larmes salées sur ton précédent EP J’espère que tu vas mieux (2018), tu dévoilais un côté plus électro. Est-ce que c’est ce qui t’a donné envie d’explorer davantage ce son sur le nouvel album ?
AZ : J’ai toujours été attirée par ce type de sonorités, en particulier parce qu’avec l’électro, les possibilités sonores sont comme… infinies! La raison pour laquelle j’ai commencé ma carrière avec une signature plus folk, c’est plate à dire, mais c’est parce que je n’avais pas totalement encore confiance en moi, et je laissais le gros de ma direction artistique entre les mains de mes collaborateurs. Les choses ont beaucoup changé depuis, j’ai pris beaucoup d’expérience, notamment en travaillant comme compositrice de musique à temps plein dans une boite de production. En gros, cette expérience-là m’a permis de trouver mon propre son, celui qu’on entend sur mes deux derniers albums.
BM : La pièce Féminicide dénonce les injustices envers les femmes. C’est une chanson importante dans l’album. Pourrais-tu nous en parler un peu ? Selon toi, sur quoi le combat doit-il miser aujourd’hui ?
AZ : Une des choses que je déteste le plus, c’est probablement de devoir m’obstiner avec quelqu’un qui ne reconnaît pas l’existence du privilège masculin, alors que pourtant, les statistiques le démontrent: Nous [les femmes] sommes les principales victimes de violences conjugales, de violences sexuelles, d’homicide conjugal (donc, de féminicide..), sans parler des statistiques qui concernent l’équité salariale, la monoparentalité, la pauvreté… C’est épuisant et invalidant de devoir débattre de quelque chose d’aussi indéniable. Pendant ce temps, on continue de se promener dans la rue avec les clefs entre les doigts, à surveiller nos verres quand on sort dans les bars, à lire des commentaires misogynes partout sur internet sans que ça ne soit modéré ou considéré comme de la haine, et on se conditionne à trouver ça normal. C’est ce sentiment d’injustice là qui m’habitait quand j’ai écrit Féminicide. Il y a tellement de femmes qui sont tuées parce qu’elles sont des femmes, et on continue d’appeler ça des drames familiaux. Il faut apprendre à nommer les choses telles qu’elles sont.
BM : En attendant que les spectacles reprennent, comment souhaites-tu faire vivre l’album ? Le meilleur moyen pour les gens de te soutenir ?
AZ : C’est vrai que c’est un drôle de moment pour faire vivre un nouvel album! Comme tous les artistes en ce moment, j’essaie de réfléchir à des manières créatives de me garder sur la map alors que tout s’écroule autour de moi (à peine dramatique… !) Donc, la meilleure façon de me soutenir, c’est probablement de me suivre sur Facebook, et sur Instagram!
BM : Comme tu l’as récemment demandé à tes fans via tes réseaux sociaux, la chanson ou l’artiste qui te fait du bien en ce moment ?
AZ : La chanson Dans un spoutnik de Daniel Bélanger me parle beaucoup ces jours-ci. Les paroles me semblent comme prémonitoires dans le contexte actuel! Sinon, It’s the end of the world as we know it de REM me parle beaucoup aussi.
Parue sous Music Mansion Records, Beige est disponible sur toutes les plateformes d’achat et d’écoute numérique. En attendant la reprise des concerts, abonne-toi aux pages Facebook et Instagram d’Ariane Zita pour ne rien manquer !