Nous n’étions pas certains de l’ampleur de la situation. Nous nous croyions encore tirés d’affaire. Quelques cas par ci par là tout au plus, mais toujours chez le voisin, jamais dans notre jardin. Puis, un léger basculement vers le doute. Et si cela venait jusqu’à nous, nous aussi? Si nous n’étions pas à l’abri? Puis, la chute. En quelques jours, dirais-je quelques heures, tout a déboulé. Un déferlement de mises en garde du nord au sud de l’est à l’ouest. Les nouvelles ont fusé de tous bords tous côtés. En deux clics on a bien vite compris que oui, c’était chez nous. Que malgré les avertissements, les peut-être les pas clair, c’était bien rendu. Il faudrait prendre son mal en patience et garder nos distances. Malgré une vague instantanée de solidarité, palpable sur les internets, on sentait la peur. La peur au supermarché. La peur dans le métro. La peur sur le visage d’une maman pour ses enfants. Une sensation étrange, jamais rencontrée. Pas celle qui nous tenaille la veille d’un examen. Non plus que la peur d’attraper un cancer ou celle de ne pas être à la hauteur. Une angoisse collective et viscérale, jamais auparavant éprouvée. Le sentiment que notre petit monde relativement sécuritaire, sanitaire, organisé, ne serait plus. Mais surtout, l’évidence d’un inconnu, en temps et en envergure. Que quelque chose de si petit et si envahissant nous ferait perdre tout contrôle.
Jamais autant informé, on n’y voyait plus clair. Le virus nous atteignait jusque dans la rue, au travers des murs de la maison. Il traversait partout et s’immisçait jour après jour dans le corps des plus fragiles. Il crashait même la bourse. Puis, les messages se sont fait entendre. S’enfermer pour protéger notre prochain. Se conscientiser, se laver jamais trop les mains, dans le coude pour tousser. Les fermetures, les frontières, les garderies, les écoles. N’en déplaise au mercantile, la santé avant tout. Se diviser pour mieux soigner. La panique des denrées, au plus fort le papier. D’abord, des réflexes archaïques ont fait ressortir le plus animal de la nature humaine pour mener au désordre. Heureusement, ce chaos n’a pas duré si longtemps. Il y a eu preuve d’une nation bienveillante. Au-delà des chicanes, des lignes qui coupent sans avertir et des directives mouvantes, il y avait des travailleurs acharnés, de grands cœurs pour aider. Puis, une grande réalisation, probablement une grande et belle leçon. Était-ce un cadeau du ciel? Un message à comprendre, un drapeau rouge pour nous dire que nous ne pouvions plus continuer ainsi.
Nous avons serré les coudes et écouté les consignes. Nous avons vu se déployer des cohortes de spécialistes, des parents inventifs, un gouvernement proactif. Nous avons vu la planète faire demi-tour. Nous montrer un peu d’amour, de lui donner enfin une trêve de pollution, de trafic et d’action. Nous avons enclenché un mouvement, si beau et si grand. C’est dans l’adversité que naissent les grandes choses, parfois, bien souvent. Nous avons ralenti le tourbillon, sorti nos casseroles et rangé notre argent.
Au-delà de la peur, j’ai vu des arcs-en-ciel et des enfants sourire d’avoir pour eux leurs parents. Au-delà des respirateurs occupés et des nouvelles qui mettent une boule dans la gorge à télévision de 6 h, j’ai appris à quel point nous étions capables de trouver des solutions. Je n’ai jamais eu autant de remises en question, mais à la fois de certitudes, qu’au moment où notre monde s’est écroulé. Un virus nous a changés, je crois bien à jamais. Je nous souhaite un printemps résilient, patient et confiant.