Louis-Philippe Gingras lançait le mois dernier Tropicale Apocalyse, un troisième album concept sous le thème de l’écoanxiété qui explore les rythmes du sud. Calypso, bossa-nova et musique hawaïenne se mêlent aux sons punk, rock et folk qu’on lui connaissait déjà, mais aussi au jazz, un retour aux sources pour le musicien qui y a fait ses classes. Entre les pièces tantôt réconfortantes, tantôt ponctuées d’humour, et les poèmes lus par Pierre Lebeau, Tropicale Apocalypse, c’est aussi un trip de gang où Gingras, qui signe une première réalisation, s’est permis d’explorer plusieurs avenues avec différents collaborateurs.
À l’approche de son concert de Noël tropicalo-apocalyptique qui aura lieu le 19 décembre prochain dans le cadre de Noël dans le Parc, on s’est assis dans un café d’Hochelaga pour discuter du projet.
Boucle Magazine : On parle beaucoup de la nouvelle direction musicale plus tropicale que tu as pris avec l’album. Avais-tu peur que ce soit un peu casse-cou au départ ?
Louis-Philippe Gingras : Oui, c’était quand même casse-cou et ça faisait longtemps que j’avais pris la décision de réaliser pour la première fois moi-même mon album. Un moment donné, quand j’ai vraiment pris une tangente tropicale, j’ai eu peur qu’il manque un collaborateur du sud dans le projet, parce que je savais qu’on allait vraiment faire dans l’appropriation culturelle t’sais, et c’était assumé, mais la vie m’en a juste pas amené, ça juste pas adonné. J’ai quand même eu l’intelligence d’appeler mon ancien collaborateur Mathieu Tarlo qui joue de la contrebasse sur l’album, et Mathieu a fait de la musique cubaine longtemps, donc je me suis dit OK, j’ai au moins un collaborateur qui a de l’expérience là-dedans et qui va vraiment amener des vrais grooves. On a tous fait nos petites recherches. C’est un peu à l’instinct à force d’en écouter, ça se met à rentrer et je suis capable de faire des imitations si on veut, d’emprunter des sonorités… Mais oui, il y a une partie d’angoisse de faire comme OK, est-ce que je suis faux-cul présentement en train de faire un album tropical sans avoir personne qui fait cette musique-là au niveau du personnel ? Mais au final, je suis content du résultat parce qu’on l’a fait à notre façon et j’espère que ça sonne pas trop blanc! (rires)
C’est pas des vrais pastiches, c’est-à-dire disons qu’on s’attaquait à un calypso, je ne passais pas une semaine à écouter que du calypso. Ce qu’on faisait, c’est que j’avais une grosse pile de vinyles en studio et on en mettait un, on commençait la journée et on écoutait la moitié de la toune, juste pour pogner le groove. On n’était pas à scruter et à copier des trucs, c’était vraiment plus dans l’ambiance.
BM : Et d’avoir ce concept-là, est-ce que tu craignais d’être accolé à cette étiquette ?
LPG : C’est sûr que oui, il y a un moment où je me suis dit bon, il y a des gens qui vont écouter l’album et qui vont s’attendre à ce que ce soit complètement dansant et tout ça. Mais t’sais, le projet d’album à la base, c’était supposé être solo, des tounes folks, et ça s’est métamorphosé. Alors oui, j’ai eu peur que les gens soient déçus de ne pas avoir un album complètement tropical, mais je pense que l’album commence avec une toune que déjà, tu t’attendais pas à ça, c’est genre Pierre Lebeau qui parle par dessus des violons stranges, un peu hawaïens, mais pas tant. Alors l’album casse ça du début et après ça oups, une toune punk, alors tu te dis, OK, ce n’est pas un album tropical, c’est juste le nom de l’album.
BM : L’ajout des poèmes lus par Pierre Lebeau à travers l’album, est-ce que c’était un peu pour faire respirer tout ça ?
LPG : Oui, bien c’est inspiré d’un album des années 70 qui s’appelle Days of Futur Passed de Moody Blues et il y a des lectures de poèmes, c’est un peu dans la mouvance d’Harmonium, un espèce de trip poétique vraiment intense. Je voulais vraiment aller là-dedans.
BM : Parlons un peu du thème de l’écoanxiété qui revient dans l’album. Le sujet est arrivé suite à des préoccupations et des discussions que tu as eues avec ta copine. Est-ce que l’album, c’est un peu une manière de canaliser cette écoanxiété-là ? Une façon de voir les choses en face plutôt que de les éviter ?
LPG : En fait, la réflexion la plus deep qu’on pourrait avoir par rapport à l’écoanxiété, c’est quand on pense à la fatalité t’sais, et quand on reçoit des chiffres qui sont fatals. Dans nos discussions avec ma blonde, elle me sort, « à telle date, c’est clair qu’il n’y aura plus d’humains… » Alors t’sais quand tu as cette information là, c’est sûr que tu te demandes, qu’est-ce qu’on fait de notre existence ? C’est une angoisse existentielle parce qu’on se demande, pourquoi je vis, qu’est-ce qu’on fait, est-ce que je continue à faire des efforts pour sauver la planète, ou je fais juste triper ? Je fais-tu des enfants là-dedans ? Alors ça vient vraiment de là et dans les tounes, il y avait un peu une volonté d’apaiser cette écoanxiété, et la mienne qui se bâtissait aussi en même temps à force d’en parler. De vraiment la traiter et de dire, qu’est-ce qu’on fait ?
Donc il y a beaucoup de tounes de promesses de futur. Barré d’Toronto, moi je trouve qu’elle fonctionne dans ce thème-là, parce qu’elle parle de promesses. Et l’album fini comme ça, avec un texte de moi pis Bernard Adamus qui était vraiment pitché à ma blonde. C’est Bernard qui a commencé à écrire un texte pour ma blonde et moi j’ai pogné son texte et j’ai fait quelque chose avec. Je trouvais ça important de faire des promesses et bon, de façon plus globale, peut-être qu’on devrait se faire plus de promesses, des vrais engagements au niveau personnel et au niveau planétaire. J’amène pas vraiment de réponses, c’est plus des réflexions, c’est plus là que ça s’en va… ça ne se veut pas un album engagé au sens où je n’ai pas de prise de position. C’est juste des réflexions et je vais probablement continuer à les faire.
BM : Il y a aussi les références au quotidien qui reviennent. Est-ce que derrière ça, il y a l’idée de se raccrocher à ces choses qui nous entoure pour être capable de mieux affronter un problème beaucoup plus grand que nous ? Je pense entre autres à Gwendolina.
LPG : Oui, bien on se crée tous des bulles et je pense que c’est un peu ça cette toune-là. J’ai tout le temps tripé sur le fait que s’il se passe une fin du monde, il y ait juste un bar où il y a encore des gens vivants et que le reste est en train d’exploser. Et je pense que la métaphore, sans vraiment y réfléchir quand j’ai écrit la toune, c’est qu’on se crée tous une bulle de confort autour de nous avec des gens qu’on aime et c’est important cette bulle-là. Je pense que c’est grâce à ça, et à l’amour qu’on a pour ces gens dans le bar de nos vies. C’est avec ça qu’on est capable de toffer le reste du monde. Je ne pense pas qu’on peut vivre ça tout seul.
BM : Pour une première fois, tu signes la réalisation de l’album. Tu as eu aussi un peu d’aide de Benoît Bouchard dans le processus. Ça t’a rendu plus confiant pour répéter l’expérience avec d’autres projets ?
LPG : Oui ! Avec Ben Bouch, on a fait déjà plusieurs projets ensemble. Troisième rangée, c’était lui qui était derrière la console et après ça d’autres petits projets. [Ben] me prête son oreille, c’est vraiment un gars qui s’investit dans les projets, ça prend un bon partner parce qu’on passe des journées de 10-12 heures ensemble et on est comme deux bibittes d’énergie. Ça devient une collaboration d’amitié et d’amour, c’est beaucoup de love qu’on met dans des albums, il y a beaucoup de travail, du travail qu’on n’entend pas au final, des petites niaiseries. Je suis allé enregistrer des sons au skatepark parce qu’un moment donné il y a un skate dans La scie circulaire et on a mixé ça. Et ce qui se ramasse dans la toune, c’est un petit « toc » de roue de skate, mais genre, faut vraiment l’entendre ! On s’autoproclame les tripeux. […] C’est de se faire triper nous autres même le plus possible pour que ça en fasse triper d’autres.
BM : Oui et comme tu le dis aussi, avec les musiciens et collabos, cet album, c’est un gros trip de gang. Et en gang, on affronte mieux l’apocalypse !
LPG : Voilà ! Et ça fait du bien en studio d’avoir des moments seuls avec ton soundman, travailler sur des trucs, faire des voix… C’est des moments super introspectifs où tu chantes ta toune et tu répètes le texte des milliers de fois, ça devient des mantras et là oups, quand il arrive du monde, l’album vient de prendre une autre dimension. Alors ça fait vraiment du bien d’avoir des gens en studio et je ne regrette vraiment pas le choix de ne pas avoir fait mon album solo. Je ferai ça plus tard, je tripe trop à être en gang !
BM : Et où est-ce que tu le situes cet album-là ? Tu veux repousser l’album solo parce que tu as envie d’aller plus loin avec cette nouvelle direction ?
LPG : Oui ! Là, présentement, j’ai le goût de continuer d’écrire des tounes à saveur tropicale. J’ai vraiment le goût de continuer là-dedans et on verra. Ça se peut que dans trois ans, j’ai un trip sur la musique allemande genre, ou contemporaine. J’ai tripé sur le country et ça a duré comme 5 ans dans ma vie […] Avant ça je faisais juste du jazz et j’étais sûre que j’allais faire juste ça le restant de mes jours, alors on sait pas. Mais là, je veux juste pousser cette affaire-là pendant que ça vit en moi. Mais j’ai pas de déterminant pour le prochain gros album, on verra, ce sera peut-être quelque chose de totalement différent.
BM : Tu seras en spectacle le 19 décembre prochain pour Noël dans le Parc, tu prépares quelque chose de spécial pour l’occasion ?
LPG : On va essayer de tropicaliser la chose un peu ! Moi j’aime beaucoup Noël, pour vrai ! Je décore pas en novembre là ! Mais ma famille décore beaucoup des deux côtés ! Noël, ça tout le temps été important et il y a toujours le côté musical. Ma mère c’est une pianiste et elle saute sur le piano, on chante des Minuit Chrétien, Mon beau sapin et tout le kit. Alors, pas impossible qu’on slide un petit Minuit Chrétien ou deux !
Ce qui s’en vient pour Louis-Philippe Gingras ? En plus du spectacle le 19 décembre au Parc Émilie-Gamelin pour Noël dans le Parc, il sera également responsable de la direction musicale du concert de Jospeh Edgar dans le cadre du Taverne Tour en janvier prochain. D’ici là, tu peux te procurer l’excellent Tropicale apocalypse et l’entendre au sein de la formation Corps Gras, projet qu’il partage avec Julien Corriveau. Reste à l’affût en t’abonnant à sa page Facebook !
Photo de couverture : Louis-Philippe Gingras, crédits : Flamme