Je l’aimais, à ma façon. La seule dont j’étais capable. Je le trouvais beau, j’aimais passer du temps avec lui et même après plusieurs heures, il ne commençait pas à me taper sur les nerfs. Pour moi, c’était ça, l’amour. Pour moi, c’était déjà beaucoup.
Dépasser le stade des bisous, des câlins et des mains qui se frôlent me semblait excessivement difficile. J’aurais voulu en avoir envie, mais la simple idée me terrorisait, en plus de me répugner et de me donner un dégoût de moi-même insurmontable.
Non, je n’ai pas été abusée dans l’enfance. Mais j’avais du travail à faire sur moi. Beaucoup de travail, un travail que je ne ferais que beaucoup plus tard.
Pour l’instant, les gens commençaient à rire de moi. Ses amis, mes amis. Et dans mon esprit d’adolescente, je devais leur donner satisfaction. Me débarrasser du sacro-saint hymen mythique pour enfin accéder au statut des gens cool.
Un soir, on a décidé d’essayer et j’ai été obligée de regarder la réalité en face : ça n’avait rien à voir avec un conte de fée. J’étais supposée me sentir amoureuse, émerveillée, bouillonnante de désir.
Il n’y avait rien de plus faux. Ça n’avait rien de romantique. Pas de chandelles, pas de musique douce, pas de magie. Rien que ma chambre d’ado un peu glauque, ma vulnérabilité et mon impression que ça allait être horrible.
«J’peux pas croire que ça va se passer comme ça» me suis-je dit. Le tournis m’a prise, l’envie de pleurer aussi et la nausée est venue agrémenter le tout.
Je l’ai repoussé en bredouillant des excuses et on a dormi, moi avec un sentiment d’échec gros comme l’univers et avec l’impression que mes minutes étaient comptées, que je venais de gaspiller l’une de mes dernières chances.
On a réessayé, plusieurs fois. Ça ne marchait jamais. Puis un jour, j’ai décidé que c’était fini, le niaisage. J’ai sorti un condom, j’ai dit à ma tête de la mettre en veilleuse et à lui, j’ai dit que c’était là que ça se passait.
On m’avait dit que ça prenait environ trois coups pour « la » faire partir. Alors après trois coups, j’ai dit okay c’est beau, c’est fini. J’avais voulu la perdre, je l’avais enfin perdue, on pouvait passer à autre chose.
À la fois euphorique, soulagée et terriblement neutre, je me suis dirigée vers la salle de bain pour enrouler les preuves incriminantes dans trois tonnes de papier de toilettes et enfouir le tout sous les autres kleenex usagés dans la corbeille, comme je faisais avec mes serviettes sanitaires souillées quand j’avais quatorze ans.
C’était fait.
La première fois, c’est pas toujours comme dans les films et c’est vraiment pas grave. Il y en aura d’autres.