Le 22 décembre dernier, j’ai perdu ma grand-mère. Elle avait 86 ans. Quand je lui avais dit que j’allais écrire pour un blogue, elle m’avait dit : « j’espère que tu vas écrire pour les personnes âgées ». Elle n’avait pas dit sur les personnes âgées elle avait dit pour les personnes âgées. Je n’en suis qu’à mes débuts d’écrire sur ce blogue alors c’était dans mes intentions de le faire, mais malheureusement elle ne pourra pas me lire. Je me disais que j’avais le temps, car elle était en pleine forme. Récemment elle avait cassé maison pour venir vivre en résidence, car veuve depuis trois ans vivre seule ne lui était plus possible. Un AVC sans pardon vient de nous l’enlever.
Ma grand-mère était acadienne. Elle a connu durant son enfance la pauvreté. La grande pauvreté, celle qui engendre la faim et le froid. Elle a aussi été témoin de violence conjugale, car dans ce temps-là, c’était fréquent. Entendre sa maman se faire battre en s’assurant que ses frères et sœurs n’entendent pas, cela a dû arriver souvent. Deuxième née d’une famille de onze, assez vite dans la vie elle est devenue une paire de bras, et pour bien des plus jeunes: une deuxième maman. Une de ses petites sœurs est décédée à 18 mois de la grippe espagnole devant ses yeux impuissants.
Elle a aussi eu une éducation au sein d’un couvent où se faire vérifier les poux consistait à se faire peigner jusqu’au sang et où on rassurait les parents que la fratrie n’était pas séparée, mais qu’en réalité elles ne se voyaient que lorsque les parents revenaient les chercher avant Noël ou au début juin. Elle n’était pas tombée sur des gens bienveillants. Heureusement, il y a aussi eu des gens bien traitants. Dans ce temps-là, les enfants n’avaient pas vraiment de droits, juste des devoirs, des responsabilités et on avait hâte que ça grandisse pour venir aider ou rapporter des sous à la famille.
Devenue maîtresse d’école, ma grand-mère a aidé des enfants à apprendre à lire et s’assurait que tous avaient une bonne soupe au dîner direct du poêle à bois, et ce de la première à la dernière année.
Les dîners de homards en famille ne seront plus pareils sans toi grand-maman.
Après ce fût le temps de se marier, elle a décidé de s’installer à Laval. Au Nouveau-Brunswick il n’y avait que la pêche qui était vraiment forte, surtout en Acadie, et mon grand-père ne voulait pas faire sa vie sur la mer. Elle a eu un mariage avec des hauts et des bas, mais avec plus de bas causés par l’alcoolisme de son mari. Mon grand-papa souffrait d’alcoolisme depuis qu’il avait 14 ans, environ. Dans son adolescence, il travaillait sur un quai de déchargement de poissons. À la pause, l’employeur donnait du whisky pour abreuver les employés… La boisson aura été un des grands amours de sa vie. Ni violent ou méchant, l’alcool a juste fait de lui un homme absent pour ses enfants. Plus tard dans sa vie, lorsqu’il ne dormait pas, il a été un bon grand-papa malgré sa dépendance.
Par contre, cela a laissé ma grand-mère dans l’obligation de devenir pilier de famille et de ne compter que sur elle pour les entrées d’argent afin de mettre du pain sur la table, comme on dit. Ayant connu la faim, jusqu’à la fin de sa vie elle a détesté le gaspillage et c’est par les plats cuisinés ou les petites gâteries sucrées qu’elle disait ses «je t’aime». Elle n’était pas une femme de finition, de détails et de dentelle, elle était une femme d’action et elle a donné 30 ans de sa vie comme bénévole à son Église. Sa foi n’a jamais été ébranlée et donner de son temps était pour elle aussi important que de respirer.
Tes petites douceurs, tu y mettais tant d’amour.
Dans mes veines, coule beaucoup de son ADN, non seulement je lui ressemble physiquement, mais j’adore cuisiner tout comme elle. Je me considère chanceuse d’avoir eu une grand-maman 38 ans. De par sa vie, ses anecdotes et surtout sa résilience je réalise que ma vie bien sûr a des épreuves comme tout le monde, mais que nos personnes âgées en ont vu et en ont vécus et que plusieurs de leurs combats sont à la base de nos belles vies aujourd’hui. Il y a encore beaucoup de souffrance dans notre société, c’est sûr, mais beaucoup a été parcouru. Le jour de ses funérailles, le 28 décembre dernier j’ai lu un hommage pour elle, mais le plus bel hommage que je peux lui rendre c’est de donner vie à ses enseignements et de les transmettre : le zéro déchet et la réutilisation, le non-gaspillage, la consommation limitée, l’économie, aller dehors tous les jours, cuisiner maison, ce sont là des choses qui pour elle était évidentes. Sans nous moraliser, elle nous a beaucoup laissé, elle a été une super grand-maman. Aujourd’hui, j’ose espérer qu’elle est devenue une étoile acadienne dorée et qu’elle veille sur son clan, comme elle faisait de son vivant.
Repose en paix ma grand-maman.