J’aimerais ça qu’on parle de santé mentale plus souvent, tous les jours. Plutôt que de parler d’argent, de possessions, de performance, de promotions. J’aimerais ça que le phénomène de mal-être ambiant et de burn-outs à répétition que l’on tente de cacher nous apprenne quelque chose sur la manière dont on perçoit les priorités, le travail.
En tant que personne aux prises avec de l’anxiété et des peurs phobiques depuis de nombreuses années, j’ai souvent eu l’impression que notre société n’était pas faite pour moi. Lorsque, au secondaire, je n’arrivais pas à travailler en même temps que l’école parce que déjà trop épuisée par les cours. Lorsque, dans ma première année d’université, j’avais l’impression que mon angoisse me confinait dans une bulle, éloignée complètement de mes collègues de classe auxquels je tentais de dissimuler mon état. Lorsque j’ai cru devoir laisser mon emploi de caissière au supermarché parce que la boule qui comprimait ma poitrine m’empêchait de travailler comme les autres. Lorsque, suite à mes années d’université, je tentais de trouver un emploi « dans mon domaine » et que la seule vue des qualificatifs « grande résistance à la pression » sur les descriptifs de poste me donnait envie de me sauver en sens contraire.
J’ai souvent le désagréable sentiment que la capacité à vivre sous pression tout le temps est ce qui est valorisé pour réussir en société et je me questionne de plus en plus à ce sujet. Pourquoi faire un salaire faramineux et avoir des dettes pas possibles est considéré comme une situation normale ?
Je crois que j’ai toujours voulu être à contre-courant de toutes ces manières de penser. Lorsque j’ai choisi de consommer moins que la plupart afin d’économiser. Lorsque j’ai choisi de travailler moins durant mes études afin de me garder du temps pour me reposer.
Pourtant, l’adage dit que, plus on fait d’argent, plus on en dépense. J’aimerais contester ce dicton. Je suis une casanière qui s’achète peu de possessions depuis longtemps, vit très simplement et utilise son maigre salaire avec parcimonie sans avoir jamais l’impression de se priver. Est-ce une méthode de survie instinctive liée à mon anxiété chronique ? Probablement. Ou plutôt une manière de questionner la surconsommation et les valeurs de performance de notre société ? Aussi, sûrement.
La simplicité volontaire que l’on voit de plus en plus germer dans les mentalités, heureusement, est aussi une façon pour des gens comme moi de préserver leur santé physique et mentale. Il ne fait aucun sens, à mon avis, d’avoir beaucoup d’argent pour s’acheter de multiples objets si notre tête est au bord du chaos et notre corps sur le bord de flancher.
L’automne dernier, alors que je travaillais à temps plein depuis environ un an et demi, vivant avec une fatigue modérée, mon angoisse a commencé à atteindre des sommets vertigineux dans une période plus occupée à mon travail. Alors que ce « rush » momentané était normal pour mes collègues, mon cerveau trop friand à se mettre de la pression pour tous les maux du monde a commencé à jouer aux montagnes russes. Essayer de maintenir le même niveau de performance et d’énergie que les autres m’a laissée littéralement épuisée. Chaque semaine, je me disais qu’un peu de sommeil me remettrait sur pied. Et chaque fois, ma montagne intérieure prenait de l’ampleur malgré le soutien que j’avais autour de moi et l’environnement de travail positif dans lequel je vivais. Malgré mon déni, j’ai pris conscience que mes limites n’étaient pas les mêmes que les autres, même dans un milieu de travail aussi merveilleux qu’une librairie. Travailler 40 heures par semaine, c’était trop pour moi.
C’est donc après avoir cru que je ne viendrais jamais à bout de ce fantôme de burn-out que j’ai dit : je n’en peux plus. J’ai donc réduit mes heures et, malgré le fait que mon salaire a fondu du même coup, je ne me suis jamais sentie aussi choyée et riche. Je crois également que cela fait de moi une meilleure employée, moins épuisée, et une personne plus agréable à côtoyer. J’ai eu la chance d’être dans un lieu de travail qui a compris ma situation, mais combien de personnes ont vécu une situation similaire à la mienne sans pouvoir manifester leur état, car craintives des réactions ?
Tout autour de vous, sans que vous le remarquiez, des tas de gens font de l’anxiété, sont aux prises avec une dépression ou sont sur le bord de l’épuisement professionnel et il faudrait en parler. Il faudrait dire à quel point c’est important de prendre soin des maux de l’âme. Il faudrait également que l’on parle plus souvent du fait que les problèmes de santé mentale ne se règlent pas en criant « pilule ». Ils sont souvent des petits démons que les gens devront apprendre à côtoyer toute leur vie, du mieux qu’ils le peuvent, pas plus faciles à faire disparaître que tout autre maladie physique. C’est pourquoi j’aimerais vous encourager à être à l’écoute des gens qui vivent avec un problème de santé mentale autour de vous et à ne surtout jamais les juger, même si vous ne comprenez pas toujours ce qu’ils vivent. Aussi, si votre corps et votre tête vous donnent des signaux d’alarme, écoutez-les. Respectez-les.
Amélie Lacroix Maccabée