Salut Dave,
Ça fait un bail. J’espère que tout se passe bien de ton côté… là-haut. Je suis curieux de savoir ce qui se passe «après». Est-ce que tu passes tes soirées à jouer au poker avec Dieu et Jésus? Ou bien s’il n’y a rien au bout du compte, juste du vide?
Ça fait maintenant 4 ans et demi que tu as perdu ton combat. Il y a eu David contre Goliath et puis il y a eu toi, David, contre l’ostéosarcome. Si on avait été dans un épisode biblique, tu aurais triomphé et tout se serait bien terminé. Sauf qu’ici, c’est de la réalité dont il est question… et celle-ci n’est pas toujours un conte de fées.
Tu te souviens de notre rencontre? Deux jeunes blancs-becs qui débarquent au Cégep, en sciences nature. Initialement, rien de plus que de simples collègues de classe. Puis on jase de plus en plus, on rit, on déconne et on se lie d’amitié.
Sauf qu’un jour, ton genou commence à te faire souffrir, sans aucune raison. Tu es pourtant en pleine santé, un grand sportif et tu mènes un train de vie équilibré. Peu de temps après, le diagnostic tombe : Ostéosarcome. Cancer des os, pour les intimes. Coup de marteau en plein visage. Tu n’as alors que 18 ans. À 18 ans, on devrait penser à sortir sans fausses cartes, à acheter des 6/49, à voter pour le Bloc Pot aux élections, à acheter de la bière au dépanneur… mais pas à affronter le cancer.
Quoi répondre à quelqu’un qui t’apprend qu’il a le cancer? Le mot est assez évocateur merci : «Tumeur, Tu-meurs!».
Pourtant, je me rappelle que tu étais malgré tout très optimiste et déterminé. En voulant dire «c’est injuste ce qui m’arrive, c’est vrai, mais qu’est-ce que je peux y faire? M’apitoyer sur mon sort? Non, plutôt me battre pour survivre… pour vivre!» Après tout, à 18 ans, on a toute la vie devant soi!
Début des traitements de chimiothérapie, l’hôpital devient en quelque sorte ta seconde maison. Plus on t’injecte de la scrap dans les veines et plus les effets secondaires se font sentir. Nausées, vomissements, fatigue, perte d’appétit et j’en passe. À ma grande surprise, ton moral, lui, est intact. Tu as peut-être perdu tous les poils de ton corps, mais tu n’as rien perdu de ton sens de l’humour, de ta bonne humeur contagieuse et de ton positivisme. J’ai alors rapidement compris que tu allais m’apprendre beaucoup sur la vie…
Les mois passèrent et notre amitié devint de plus en plus forte. Comme quoi, c’est dans les moments les plus durs qu’on se rapproche.
Puis, la nouvelle tant attendue! La tumeur avait disparu, tu étais guéri. Tu avais vaincu ce foutu cancer. Tu étais en rémission. La vie reprenait son cours normal et tu mordais dedans à pleines dents! Tu pouvais enfin reprendre tes études (qui aurait pensé un jour qu’on pouvait s’ennuyer d’aller à l’école), tu retrouvais ta vie sociale et tu avais la tête pleine de projets. Plus rien ne pouvait t’arrêter!
Et puis le coup de massue. Peu de temps avant ton anniversaire, on t’annonçait que le cancer était revenu, plus fort que jamais et sans crier gare. Retour à la case départ. L’hôpital, les traitements, mais toujours cette volonté de fer, ce courage, ce désir de vivre. Si le livre «Le positivisme pour les nuls» existait (ce qui est peut-être le cas, mais on s’éloigne du sujet), tu en serais certainement l’auteur. Et moi je serais un lecteur assidu, qui a tant à apprendre.
Les semaines défilèrent et la situation ne s’améliora pas. L’espoir que tu t’en sortes était peu à peu remplacé par les métastases. On comprit que cette histoire n’aurait pas une fin heureuse.
Je te sentais tout de même serein (comment tu y arrivais?). Tu profitais de chaque moment, de chaque instant, entouré de tes proches, de tes amis. Puis vint le jour où tu devins trop faible, où ton corps, usé par ton combat de titans, te laissait tomber peu à peu.
Plongé dans un état comateux, tu t’accrochais tout de même à la vie. Une respiration à la fois. Tu n’étais peut-être plus «vraiment» avec nous à ce moment, mais nous, nous étions à tes côtés.
Je me souviens de la dernière journée, alors qu’à tour de rôle, nous avions droit à un petit cinq minutes en privé avec toi, en tête-à-tête. J’étais à ton chevet, à ta gauche. Ma main posée sur la tienne, en silence. Un silence lourd et profond, mais beau à la fois. Le genre de silence qui accompagne le moment de se dire au revoir. Le silence, donc, mais moi qui cherche également les bons mots à te dire tout haut. Moi qui pleure comme une madeleine, sans arriver à formuler une seule lettre.
Et puis, moi qui finis par te dire à quel point tu m’as appris sur la vie et sur moi-même, en si peu de temps. À quel point être là pour toi dans les bons et les mauvais moments fut un honneur et m’a fait réaliser et relativiser tellement de choses. À quel point je suis chanceux d’être en santé et qu’il ne faut rien tenir pour acquis. Moi qui conclus mon monologue à voix haute en te jurant que je profiterais de la vie au maximum, pour toi, en l’honneur de ta résilience et de notre amitié.
Le lendemain matin, j’ai reçu un message texte qui m’apprenait que tu étais mort durant la nuit. Je n’ai pas pleuré. Non, j’ai plutôt souri. Souri pour te rendre hommage, souri parce que je sais que c’est ce que tu aurais voulu. Souri parce que la vie est trop courte après tout.
*À la mémoire de David Duval-Laurin, décédé le 29 mai 2012 à l’âge de 21 ans*
Martin Gariépy
Avocat de profession, Martin n’en demeure pas moins un grand artiste dans l’âme. Passionné de culture, de sport et d’actualité, il adore écrire, faire de la radio et de la télévision. Son objectif est simple et louable : vous informer, vous faire rire, vous émouvoir et surtout vous faire réfléchir!