À l’Ère de la haine

J’avais un autre article de prêt pour cette semaine, mais disons que ce matin, je voulais parler d’autre chose.

Tout a commencé hier soir, lorsque j’ai dit à mon copain à quel point je serais fière de dire à notre hypothétique fille qu’elle pourrait être tout ce qu’elle veut dans la vie, que rien ne l’arrêterait jamais. Pour preuve, le plus grand pays du monde aurait une femme à sa tête dès demain.

J’ai eu tort, très tort. Je me suis levée ce matin avec un goût amer dans la bouche et un mal dans mon corps. Une anxiété généralisée me frappe fort et je voulais en parler.

C’est dur d’accepter en tant que femme et en tant que fille d’immigrants qu’aujourd’hui, je me réveille dans un monde où l’on valide la xénophobie, l’intolérance et la misogynie. J’ai mal.

Il y a 8 ans, j’ai réveillé tout le monde chez moi en criant fort que le nouveau président des États-Unis, mon candidat, celui dont j’avais vanté les mérites à tout le monde haut et fort, était noir, jeune et respirait le changement.

“YES WE CAN!”

L’émotion que je ressentais à ce moment était proche de l’euphorie. Je pleurais de joie, je souriais de bonheur, je dansais sur place. On me répétait que ce n’était pas mon président et que ça n’aurait aucun impact sur moi. Je n’écoutais pas…

Barack Obama est et sera toujours pour moi le candidat qui me ressemble le plus. Avec sa famille, je me reconnaissais et je voyais en eux tout ce que je voulais être, tout ce que je pouvais espérer qu’un Président soit. Ses promesses de changement, de renouvellement me parlaient. Déjà, en 2004, la fille de 13 ans que j’étais était impressionnée par son Keynote speech. Lorsqu’il a gagné, j’ai suivi durant 8 ans sa présidence. J’ai été impressionnée par sa fougue et son désir de servir un pays qu’il aime par dessus tout. Son ouverture au monde, son féminisme, son appui aux communautés LGBT, son amour de la diversité en faisait un Président presque qu’idéal.

 

J’aime les États-Unis profondément. Je trouve que c’est un pays merveilleux, marqué par la chaleur de ses gens et leur hospitalité. Leur gentillesse n’a pas d’égal.

Aujourd’hui, je me prends une claque dans la face. J’ai l’impression de voir une belle façade craquelée qui montre son intérieur complètement pourri.

Plus que ça, j’ai l’impression que moi, une jeune femme d’origine libanaise et féministe avec un idéal d’inclusion et d’égalité, suis maintenant comme une citoyenne de troisième zone qui dérange. Ma couleur, mes traits physiques, ma langue, mes valeurs dérangent. Je sens que cette élection valide le racisme, la misogynie, la haine que certains portent à mon égard. Elle valide les commentaires méchants, sexistes, racistes que reçoivent pleins de gens tous les jours. Elle valide mon sentiment exacerbé de ne pas toujours me sentir en sécurité. Elle valide le racisme que nous allons probablement vivre mon copain et moi durant les 4 prochaines années. Les gens différents semblent être les grands ennemis des États-Unis en 2016.

La douleur que cette élection me fait vivre est grande. Je pense à mon amie qui vit aux États-Unis, qui y fait son doctorat et qui aujourd’hui, ne sait pas comment se sentir. Je pense aux Américaines, fières, qui ont mis sur la tombe de Susan B. Anthony, pionnière du droit de vote des femmes aux États Unis, leur collant “I voted” pour lui dire qu’elles ont le choix et qu’aujourd’hui elles peuvent voter pour une femme à la présidence. Je pense aux Afro-Américains qui se demandent ce que l’avenir leur réserve. Je pense aux immigrants illégaux et à leurs enfants qui ont peur, qui vivent maintenant dans l’incertitude.  Je pense aux familles d’immigrants qui ne savent pas s’il est mieux de partir que de continuer leur vie ici. Je pense à ceux qui sentent que tous leurs sentiments sont maintenant validés par cette élection et qu’il est maintenant possible d’intimider, de huer, d’agresser des gens parce qu’ils sont différents.

On a beau me dire que ça n’aura aucun impact sur nous, que je peux dormir sur mes deux oreilles, que rien ne va m’arriver, j’ai le sentiment que ça a un impact beaucoup plus fort que ce que les gens peuvent penser. Aujourd’hui, chacune des actions racistes, misogynes, haineuses est justifiée.

Aujourd’hui, je ne sais plus quoi dire à ma future fille. Seulement que je suis désolée des conséquences désastreuses causées par cette décision  sur le monde où elle va voir le jour.

 

*Illustration de Hallie Bateman

Yara El-Soueidi

Yara El-Soueidi est une consultante en contenu créatif qui vit à Villeray, Montréal, avec son copain depuis 9 ans et demi. Born and raised à Montréal dans un milieu multiculturel, c’est une obsédée de belles images et de beaux textes qui cherche en permanence la prochaine tendance qui prendra d’assaut le web. Dans ses temps libres, elle bingewatche des séries sur Netflix, elle discute de politique américaine, elle tombe en amour avec Drake, elle lit des livres d’auteurs québécois, elle regarde les étoiles (littéralement), elle se fait les ongles, elle boit un chaï latté et elle passe son temps au Sephora pour acheter des rouges à lèvres de toutes les couleurs.

Chronique d'un couple multiculturel 1

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Yara El-Soueidi

Yara El-Soueidi est la cofondatrice d'Espace L, un coworking club exclusivement féminin qui verra le jour à Montréal. Elle est aussi une militante féministe engagée, une obsédée de nouvelles technologies, une anxieuse perpétuelle, une amatrice de rap, une drama queen avec une obsession pour Drake, les ananas et le maquillage. Montréalaise born and raised, elle manie le franglais et parle d'inclusion, d'intersectionalité, de multiculturalisme et de sa vie si palpitante de fille d'immigrants.

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