Si vous n’êtes jamais allés à l’opéra, c’est le moment de le faire. L’opéra Les Feluettes, adapté de la pièce Les feluettes ou La répétition d’un drame romantique de Michel Marc Bouchard, par Kevin March et mis en scène par Serge Denoncourt, est présenté cette semaine à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Le spectacle est un pur chef d’œuvre proposant au public une histoire d’amour d’une vérité et d’une beauté à en couper le souffle. C’est le paradis du frisson, de la délicatesse et de l’authenticité. Magnifique. Absolument magnifique.
Quand on pense à opéra, règle générale, on s’attend à une tragédie en italien dans laquelle des chanteurs classiques s’époumonent sans grande émotion. Vous seriez surpris à quel point c’est faux. L’opéra Les Feluettes, de par sa beauté incommensurable et latente, nous emporte dans un ailleurs complètement nouveau. Il raconte l’histoire de l’amour infini entre deux hommes contre lesquels se place toute la communauté, contre lesquels s’élèvent les conventions et la peur. C’est un spectacle criant d’actualité et de respect, qui montre l’homosexualité avec la normalité avec laquelle elle devrait toujours être présentée.
Incarcéré depuis quarante ans, Simon Doucet fait venir à lui l’évêque Jean Bilodeau à qui il rejouera, avec l’aide des autres prisonniers, les événements qui ont marqué son amour pour le comte Vallier de Tilly. La mise en abyme – parfois même triple – est judicieusement exploitée, car le lien constant entre le passé et le présent ajoute colère et tristesse à cet amour fébrile et doux. Ce qui frappe à prime abord, c’est la beauté pure du sentiment qui lie Simon Doucet (Étienne Dupuis) et le comte Vallier de Tilly (Jean-Michel Richer). En plus d’avoir des voix absolument magnifiques, les deux interprètes sont criants de passion et véhiculent admirablement une chimie indéniable. Je pense par exemple à une scène dans laquelle Simon visite Vallier, lequel est installé dans son bain, fragile. S’ensuit un moment de pure tendresse et de sentiments profonds qui secoue l’audience et qui ne rend personne indifférent. La passion et l’attraction entre les deux hommes, qui ne peuvent s’empêcher de revenir l’un vers l’autre comme des aimants, appellent à l’acceptation et dénoncent l’homophobie.
Tous les chanteurs (exclusivement des hommes) ont des voix extraordinaires. Je ne peux m’arroger d’être une experte en opéra – Les Feluettes étant le deuxième auquel j’ai eu le privilège d’assister –, mais la justesse et la force du chant de tous les interprètes, et cela même lorsqu’ils sont couchés, tordus, enlacés ou prostrés à genoux, m’ont causé nombre de frissons et de larmes impressionnées. Même assise dans le fond de la salle, je pouvais sentir l’émotion qu’ils dégageaient au cœur de leur chant puissant.
Petit coup de cœur pour l’incroyable Aaron St-Clair Nicholson, interprétant la comtesse Marie-Laure de Tilly, mère de Vallier de Tilly, dont les réparties comiques ont su amener la légèreté qu’il fallait pour un spectacle de cette envergure. Son jeu tout en subtilité et le timing parfait avec lequel il plaçait ses phrases créaient à tout coup un fou rire général et un soulagement de la tension. L’habileté avec laquelle St-Clair Nicholson passait de la légèreté à l’amour et à l’acceptation inconditionnels d’une mère est digne de mention.
Enfin, la scénographie était des plus efficaces. Les barreaux de prison laissaient entrevoir l’orchestre dirigé par Timothy Vernon – positionné dans le fond de la scène et non dans la fosse, technique ingénieuse pour le mettre à l’avant-plan et reconnaître le talent des nombreux musiciens – et l’utilisation judicieuse d’objets, dont tables, chaises et nombre d’accessoires propres aux personnages, permettait de changer de lieu rapidement et efficacement. Aussi, après l’entracte, l’usage multiple d’un immense drap blanc, entre autres pour représenter un chapiteau de mariage, des flammes et pour dissimuler momentanément l’orchestre, était ingénieuse et d’autant plus efficiente. Un travail remarquable de Guillaume Lord.
En bref, l’opéra Les Feluettes, présenté les 26 et 28 mai 2016, est, à mon avis, un spectacle qu’il ne faut absolument pas manquer. C’est frais, c’est drôle, c’est beau, c’est actuel, c’est triste, c’est révoltant. Et il y a énormément de moments sublimes au cours de la représentation qui, si on les mettait sur pause, provoqueraient même à eux seuls, figés, des frissons incontrôlables. Du travail de génie. Des paroles simples qui rendent justice à l’écriture de Michel Marc Bouchard. Et une musique à en couper le souffle.
Pour acheter des billets, vous pouvez vous rendre sur le site de l’Opéra de Montréal.