Suite aux vives réactions suscitées par la robe transparente dont était vêtue Rihanna lors des CFDA Awards, j’ai eu envie de m’exprimer sur la question de l’usage de la nudité tant en mode qu’en publicité. Je me suis d’abord demandée si le jugement posé par les gens était justifié pour finalement constater que, même si j’ai tendance à approuver le fait qu’elle aurait au minimum dû porter une culotte pleine, leur argumentaire était faible, voire absent, ne se limitant pratiquement qu’à une série de reproches et de blasphèmes. Par contre, notez que dans le présent article je ne compte pas justifier le geste de la chanteuse, mais bien amener le lectorat à s’ouvrir à une nouvelle perception de la nudité. Devrions-nous donc vraiment être offusqués par cette dernière? On jase, là.
Nudité VS vulgarité
Lors du débat entourant la décence ou l’indécence de la robe portée par Rihanna dans le cadre des CFDA Awards, un terme assez cru, voire dérangeant, est revenu maintes fois : « vulgaire ». Le mot « vulgaire » fait référence à quelqu’un ou à quelque chose faisant preuve de grossièreté, c’est donc dire que la nudité, peu importe la façon dont elle est exploitée, serait choquante aux yeux de ceux qui ont qualifié Rihanna comme telle. C’est aussi l’abaisser au même niveau que Miley Cyrus, dite elle aussi vulgaire, qui adopte des comportements sexualisés sur scène. Sachant que Rihanna n’a pas adopté de comportements sexuellement suggestifs CETTE SOIRÉE-LÀ (et je pèse mes mots; on sait qu’elle n’est pas non plus très sage), est-il juste de dire qu’elle a été vulgaire? Non. La vulgarité de la nudité dépend de la façon dont cette dernière est exploitée, soit lorsqu’elle porte un message à connotation sexuelle. Associer automatiquement la nudité à la sexualité est un réflexe psychologique lié aux conventions sociales, elles-mêmes étant basées sur des lois, stipulant qu’il est interdit de se pavaner nu publiquement. En effet, on suggère que la nudité n’est que propice dans les moments d’intimité, soit lorsqu’on est seul ou en compagnie de son/sa partenaire.
De plus, si l’on se fie à la définition de « nudité » selon Le Petit Robert, elle correspond à l’« état d’une personne qui n’est couverte par aucun vêtement ». Étant vêtue d’une robe recouvrant tout son corps, quoique transparente, Rihanna n’était donc, par définition, pas nue lors des CFDA Awards (personnellement, j’ai vu des robes à décolleté plongeant beaucoup plus choquantes!). Plusieurs campagnes publicitaires mettant en vedette des mannequins habillées, parce qu’elles sont sexuellement suggestives par les positions adoptées, se méritent le statut de « vulgaires », contrairement à une simple exposition du corps. C’est ainsi dire que plusieurs selfies de jeunes filles se retrouvant sur les réseaux sociaux se mériteraient eux aussi ce statut (torse bombé, fesses ressorties…). Bref, il y a une distinction à faire entre la nudité et la vulgarité qui, elle, est directement liée à la sexualité.
La nudité : Un outil marketing controversé, mais efficace
La sexualité – ou la « nudité », devrais-je dire – vend, c’est un fait, et nous en sommes les consommateurs. Si, dans certains cas, elle sert de provocation scandalisée utilisée pour faire parler les gens (parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en!), dans tous les cas, elle est exploitée afin de capter automatiquement l’attention des clients potentiels (certaines fois plus honnêtement que d’autres, heureusement/malheureusement; c’est selon). Si le marchandisage tend à séduire en jouant avec les perceptions olfactives des consommateurs, en ce sens, la publicité peut amener les consommateurs à se laisser séduire inconsciemment, comme c’est le cas pour la nudité. Elle vient interpeller nos sentiments les plus profonds (qu’ils soient positifs ou négatifs), afin de venir nous chercher suffisamment pour que le temps soit suspendu, ne serait-ce que durant quelques secondes, entièrement dédiées à la contemplation de ladite publicité. Grosso modo, l’inconscient achète et le conscient paye, ce qui fait des dénonciateurs de la nudité, non seulement des victimes du marketing, mais aussi des hypocrites par la même occasion puisqu’ils consomment eux aussi (ni plus ni moins, sorry).
PLUS : L’usage de la nudité en publicité ne date pas d’hier. Elle a su traverser l’ère du temps grâce à l’art, mais sa représentation était aussi communément utilisée comme technique d’approche marketing. Notamment, à Rome, au XIXe siècle, des femmes nues étaient peintes (la peinture = ancêtre de la photographie, just saying) sur des affiches pour attirer le public aux spectacles où il était convié, et ce même si ce n’était pas pertinent de le faire (même si ça n’avait aucun rapport avec le show, autrement dit). Il est là, le problème avec la nudité, aujourd’hui : l’incongruence de son utilisation avec le produit vendu et sa surutilisation. Qu’est-ce qui explique qu’un détaillant de meubles ait recours à une mannequin complètement dénudée dont seules les parties génitales sont recouvertes de produits électroménagers? Pas grand-chose, car sa pertinence est absente. En revanche, de la nudité pour une publicité de lotion solaire ou de lingerie, par exemple, est beaucoup plus acceptable, car il y a un lien évident à établir entre le concept et le produit vendu. Got the point? L’objectif, maintenant, c’est de trouver une façon de mieux faire avaler la pilule, comme en ayant recours à l’humour ou, plus simplement, en évitant systématiquement l’usage du sexisme qui dépersonnalise la femme (le meilleur exemple : les « pubs » de bière, qu’il y ait ou non nudité), tout en s’assurant que les mannequins soient majeures.
La désexualisation de la poitrine
Avant de m’être documentée sur le sujet et de m’être, par le fait même, soumise à une période de réflexion, je dois avouer que j’étais de ceux qui ne percevaient pas nécessairement la censure des mamelons féminins comme étant discriminatoire. Il est courant de penser que la poitrine des femmes est, au même titre que le pénis et le vagin, une partie génitale, car elle en est bien une, mais sa perception varie grandement d’une culture à l’autre, voire d’une personne à l’autre. Bien qu’elle soit couramment associée à la sexualité, la poitrine des femmes est avant tout un signe de distinction sexuelle, différenciant la femme de l’homme, qui de plus est une fatalité.
En Afrique du Sud – et ce n’est une surprise pour personne –, la poitrine est considérée comme étant un organe nourricier, pas sexuel. Il est permis pour la femme de se pavaner seins nus. D’ailleurs, la nudité en tant que telle a toujours été perçue comme naturelle et non taboue chez les Sémites et les Indo-Européens, et ce chez toutes les classes sociales, indépendamment du degré de civilisation. Sans parler des nombreux endroits dédiés aux pratiques naturistes à travers le monde! En ce sens, le terme « vulgaire » pourrait aussi prendre son sens dans ce qui est commun, c’est-à-dire que nous possédons tous une nudité, un corps humain. Pourquoi sommes-nous donc choqués par l’emploi de la nudité en publicité? Si les lois concernant la nudité, qu’elles soient en lien avec le mode de vie ou la publicité, varient d’un pays à l’autre, pourquoi devrions-nous nous en remettre exclusivement à ce qui est jugé comme moralement correct dans les limites d’un seul territoire donné?
Si des raisons existent aux règles prônant la pudeur, des raisons existent aussi à celles se tournant un peu plus vers le naturisme (à ne pas confondre avec le nudisme). D’ailleurs, en Ontario, depuis 1996, les femmes possèdent le droit égal aux seins nus, car les hommes étaient autorisés à circuler le torse à découvert et, à la lumière de l’article 15 de la Charte des droits et libertés canadienne stipulant que « la loi ne fait exception pour personne et s’applique également à tous », que « tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques », une injustice à cet égard subsistait. Plus près encore, depuis peu, Facebook autorise la publication de photos d’allaitement. Même s’il n’autorise pas encore celles de femmes aux seins nus sans motif apparent, on a assisté à la naissance du mouvement « #FreeTheNipple (libérez le mamelon) » qui gagne en popularité. Sans pour autant en venir à autoriser le nudisme partout sur le globe, je crois au moins que nous possédons suffisamment d’outils pour être en mesure d’augmenter le taux d’acceptabilité de la nudité en publicité (toujours selon certaines contraintes), car elle est naturelle. Yep.
« Nous reconnaissons la beauté et le caractère naturel de l’allaitement, et nous sommes ravis de savoir qu’il est important pour les mères de partager leurs expériences avec autrui sur Facebook. La plupart de ces photos respectent nos règlements. » — Facebook
L’hypersexualisation des enfants
En dépit de l’accroissement du taux d’enfants hypersexualisés dans le monde au cours des dernières années, l’usage de la nudité en publicité n’aurait aucune incidence sur ce phénomène. L’hypersexualisation consiste, comme son nom l’indique, en une entrave au développement naturel de la sexualité des enfants provoquant une sexualité précoce. Elle peut être due à des comportements adoptés par l’ensemble de la société d’un point de vue culturel ou par les parents. Comme je l’ai mentionné précédemment, « nudité » ne rime pas automatiquement avec « sexualité » si son utilisation n’est pas sexuellement suggestive. Dans certains cas, la nudité présente en publicité ou dans les éditoriaux n’est ni sexy ni provocante, mettant plutôt de l’avant la nonchalance du naturisme. Ce genre de problématique est plutôt retrouvée dans l’univers musical de la pop.
Quant aux parents, il n’est pas question d’imitation chez l’enfant, mais du manque de contrôle/autorité parental(e). En effet, chez les familles naturistes, par exemple, on note des avantages éducatifs lorsque la nudité est saine, soit non controversée. Elle serait même bénéfique pour l’équilibre psychologique de l’enfant (eh oui!). Autrement dit, les parents qui craindraient l’imitation de leurs enfants remettraient, par le fait même, leur autorité en doute; l’important n’est pas de savoir comment expliquer à son enfant pourquoi telle personne est nue sur une affiche publicitaire, mais de l’amener à comprendre qu’il ne doit pas reproduire cette nudité en temps réel, c’est-à-dire en public. L’objectif n’est pas qu’il ait honte de son corps, mais simplement de lui faire saisir le sens moral de l’enjeu.
En conclusion…
Devrions-nous vraiment être offusqués par la nudité présente en mode et en publicité? Non, car nous en possédons tous une! Si certains publicitaires utilisent la nudité dans le simple but de choquer leur auditoire et de faire parler d’eux, d’autres l’utilisent pour toucher directement le consommateur en objectivant le corps des mannequins. L’essentiel est de limiter son utilisation en l’articulant autour d’un code éthique bien compris et exploité de tous, de sorte qu’aucune polémique ne soit créée. L’objectif ultime n’est pas d’arriver à autoriser le nudisme en public, mais bien de s’ouvrir à une perception plus commune, moins sexualisée, de la nudité. Pour s’y faire, il faudra néanmoins un peu de coopération des marketeurs! Ça reste mon point de vue… que je n’impose à quiconque! Hehe.