Texte et mise en scène par Steve Gagnon (d’après l’œuvre Britannicus de Racine)
L’enfer, c’est les autres, n’est-ce pas ? Ces autres qui forment pourtant notre famille, la suite de notre sang… On ne les choisit pas, mais ils sont ces autres si près, envers et malgré tout. Tragédie classique actualisée, En dessous de vos corps est une œuvre encore chaude servie sur un plat froid. Une affaire familiale remaniée en un tour de maître, qui nous précipite dans un gouffre sanglant, au plein creux de nous-mêmes.
Britannicus emménage avec sa copine Junie dans la demeure familiale, adjointe à leur entreprise commune. La mère, une manipulatrice hors-pair aveuglée par son immense amour maternel, vit à l’appartement du dessus. Son frère bipolaire Néron et sa tendre et dure moitié Octavie, dans celui du dessous. Un lieu clos et étroit se dresse au même moment où le danger profuse de toute part. Famille coûte que coûte, mais où il n’existe aucune confiance et où la jalousie se tisse malicieusement à l’amour, il s’agit davantage d’humains d’un même sang, assoiffés de pouvoir et de fausse justice, qui se confrontent dans l’arène délirante dressée par la folie de Néron.
Classique au goût des temps modernes, cette proposition de Steve Gagnon et du Théâtre La Manufacture balance avec une grande justesse le terrible destin de cette famille par une langue du quotidien et par un jeu du presque banal. Rapprochant ainsi l’œuvre de base un peu plus près de nos corps, de notre animalité et de notre pitié, sans insinuer la catharsis, elle réussit, à tout le moins, à nous faire frissonner. Avec une distribution parfaite et équilibrée et une scénographie déconstruite et glaciale, l’horrible succession des stratégies des personnages parvient à transcender nos corps de spectateurs, dans un moment d’une magnifique cruauté. L’initiative de la réécriture de cette tragédie et les permissions que s’est données Steve Gagnon dans la direction des acteurs méritent particulièrement d’être soulignées.
Une production de La Manufacture, présenté à la Licorne jusqu’au 9 novembre.
Valery Drapeau