Texte de Sébastien David
Mise en scène de Gaétan Paré
Dans un appartement miteux du quartier Est de Montréal (tapis en poils longs, tapisserie fleurie verdâtre), deux sœurs se partagent une vision horrible du corps humain. Toutes deux gèrent les problèmes de l’obésité et du rejet de soi d’une façon toute différente. Stéphany, la cadette, tente de perdre du poids par la pratique quotidienne du vélo-stationnaire, Magalie demeure bien écrasée sur le sofa, face à la télé, l’entre-jambe grand ouvert, 2 litres de coke ou poignée de pop corn à la main. La première tente d’échapper à l’image qu’elle projette par l’intermédiaire virtuel, l’autre se range du côté des téléromans, des téléréalités et des émissions humoristiques. Une repousse sans cesse la limite du risque, parce qu’elle ne souhaite provoquer que sa disparition, la seconde s’échoue depuis toujours au même endroit, dans l’attente d’une disparition inévitablement plate. Deux types d’acceptation (ou de non-acceptation) du reflet imparfait, surtout aux yeux de soi-même, pire juge d’entre tous.
Tableau vulgaire, mais pourtant très réaliste, frappant de vérité et de désespoir, c’est un lieu clos sans amour-propre, sans amour point. Il y règne une tension de peur, de dépendance, de mépris et de colère. Un trou noir, tellement noir, où tout y est aspiré. Morb(y)des est une histoire qui n’en est pas vraiment une, qui vague entre l’empathie et l’antipathie, entre la pitié et l’humour décadent. Un humour cru, croche et qui écorche. Les mots de Sébastien David sont brutaux, mais nécessaires. Ils ont l’effet d’une râpe pour le cœur, parce qu’ils sont lapidants de vérité et de désespoir. L’auteur a trouvé une voix nouvelle, pleine de misère, pour les rejetés et les laissés pour compte. Une voix pour une génération qui semble suivre les personnages des chroniques du vieux plateau de Michel Tremblay. Encore une « gang de tout-seul » tapis dans leur coin sombre, à explorer les écrans sociaux propres à leurs générations (la télé et l’internet). Oui, Morb(y)des est un Tremblay à saveur 2.0, avec une finale psychotique (clairement un délire de l’auteur pour ses acteurs) particulièrement intéressante !
Si Sébastien David et Julie de Lafrenière semblaient plutôt bien se débrouiller dans leurs personnages, Kathleen Fortin rafle toute l’attention. Sa dévotion complète a clairement porté son jeu à un niveau supérieur, tant dans les moments ‘‘comiques’’ que ceux dramatiques.
Une production de la compagnie de théâtre La Bataille
Au Théâtre du Quat’sous jusqu’au 23 mars